2.2. L’histoire des parents de Martine

L’histoire des parents de Martine et la sienne restent très complexes et assez singulières. Le récit que Martine nous en a fait est relativement clair. Il nous est cependant difficile de la relater fidèlement ici sans en trahir la confidentialité. Dans les paragraphes qui suivent, nous tenterons d’en retranscrire la substance tout en essayant de ne pas corrompre les dires de Martine.

Le père de Martine est originaire du village de Sya. Il a été mobilisé dans l’armée coloniale française au cours de la précédente Grande Guerre. A sa démobilisation, il aurait quitté le pays pour aller vivre à l’étranger. Les circonstances de cette expatriation qui s’apparentait à une exil volontaire restent obscures, mais seraient liées à un acte répréhensible. Il ne serait revenu au pays qu’après le décès de son père et sur une forte insistance de sa famille qui aurait envoyé un émissaire pour le quérir. Il épousera alors la seconde femme de son père selon le système du lévirat, mais refusera d’occuper les charges de responsable coutumier qui lui revenaient de droit d’aînesse selon la tradition. C’est ainsi qu’il viendra s’établir définitivement dans la capitale tout en mandant un neveu pour aller s’occuper des fétiches et des sacrifices à Sya. En effet, selon leurs traditions, en cas de désistement, le responsable coutumier pressenti pouvait nommer un neveu pour s’occuper des fétiches et des sacrifices jusqu’à son décès où un nouveau responsable était nommé par droit d’aînesse. Selon Martine, son père serait probablement le seul survivant mâle de la lignée paternelle au moment où elle arrivait à notre consultation. Un curieux destin décimait en effet les descendants mâles de la famille depuis leur arrière-grand-père, sans que les différents recours traditionnels en aient pu infléchir le cours.

Le père de Martine aurait pris une seconde épouse par la suite. De cette seconde union aucun enfant ne naîtra. Par contre de la femme de son père, qu’il a épousé selon la pratique du lévirat, naîtront quatre enfants, trois filles et un garçon dont Martine est la deuxième.

Le seul frère de Martine, et unique descendant mâle de son père, succombera à l’inexorable destin familial. Selon les dires de Martine, il aurait été fauché par une rafale d’arme automatique alors qu’il circulait en pleine rue. Les circonstances de sa mort ne seront jamais élucidées, ajoutant une fois de plus au mystère du destin tragique qui frappe la famille.

Bien qu’il soit animiste, le père de Martine aurait curieusement consenti et presque poussé tous ses enfants à se convertir très tôt au christianisme catholique. Était-ce pour les soustraire au destin qui semblait frapper la famille ? Martine le pense mais nous dira que leur père ne le leur avait jamais dit explicitement. Le père lui même sentant sa fin proche, se serait converti un an avant sa mort, comme Martine nous le dira, après la fin de sa prise en charge, lorsque nous l’avons revue afin de lui demander son accord pour l’exploitation des éléments de sa prise en charge dans notre présent travail de recherche.

Si ce lourd héritage du coté paternel semblait épargner Martine, du moins directement, elle n’était pas en reste du côté maternel. Là également, un tout autre destin non moins curieux frappait les descendantes. Elles étaient toutes atteintes de stérilité primaire ou secondaire « depuis sa grand-mère maternelle ». Selon Martine, il se pourrait cependant que cela remonte plus loin dans les générations antérieures. Toutefois, les recours traditionnels avaient pu trouver la juste parade à leur cas. Martine aurait été progressivement informée de tout cela par sa mère, au cours de différents recours auprès des thérapeutes traditionnels, notamment les devins, lors des rites coutumiers qui ont accompagné son premier mariage et à la suite d’une stérilité secondaire dont elle aurait été elle-même victime.