3.2. L’histoire d’Esther

Esther se décrira elle-même comme une femme volontariste, déterminée, ne renonçant à rien pour parvenir à ses objectifs. Son enfance se serait déroulée sans aucun problème particulier. Après son Brevet d’Études du Premier Cycle (B.E.P.C.) de l’enseignement secondaire, elle sera obligée d’arrêter ses études pour entamer une formation professionnelle courte car la situation modeste de ses parents ne lui permettait pas de poursuivre de longues études.

Après une première liaison qui se soldera par un échec, Esther rencontrera Jules, à l’âge de 22 ans, qui allait devenir son mari. Sa relation avec Jules sera cependant mal acceptée par son père qui aurait préféré la voir s’unir à son premier ami qu’il appréciait beaucoup. De plus, Esther nous dira que, sans être un musulman fondamentaliste, son père ne voulait pas qu’une de ses filles épouse un non-musulman, à moins que ce dernier ne consente à se convertir à l’Islam. Or Jules était catholique et n’entendait pas se convertir à l’islam, pas plus qu’il n’entendait renoncer à Esther.

Les jeunes gens auraient alors convenus que Jules userait d’un faux prénom pour se présenter comme musulman au père et lui demander la main de sa fille. Ce dernier se serait d’abord laissé prendre mais, découvrant la supercherie quelques temps après, il opposera un refus catégorique à leur union. En dépit de plusieurs tentatives de médiations qui resteront vaines, le père ne reviendra pas sur son refus.

C’est alors qu’Esther et Jules décideront de s’y prendre autrement. Ils envisageront de faire un enfant et de mettre ainsi le père devant les faits accomplis. Lorsque Esther fut enceinte et sa grossesse apparente, Jules envoya à nouveau ses parents en médiation auprès du père d’Esther. Ils reconnaissaient l’attitude coupable de leur fils qui avait déshonoré sa fille en se montrant trop entreprenant et venaient lui présenter leurs excuses. Les choses pouvaient cependant se réparer et « la face des deux familles être sauvée » s’il consentait à entériner l’union des jeunes gens qui avaient anticipé ainsi leur désir de vivre ensemble. Le père d’Esther obtempéra et c’est ainsi que fut célébré le mariage.

Toutefois, le père d’Esther tiendra à lui préciser de ne jamais recourir à lui pour un soutien quelconque en cas de difficultés dans son ménage. Elle lui avait désobéi et l’avait ainsi humilié au profit de son mari, qu’elle assume donc pleinement ses responsabilités jusqu’au bout.

Comme par malédiction, ces difficultés n’allaient pas tarder. En effet, quelques mois après leur mariage et alors qu’elle était pratiquement à terme, Jules apprendra à Esther qu’il venait d’avoir un garçon, Jacob, avec une serveuse de bar. Esther nous dira qu’elle avait durement accusé ce coup mais en silence et sans aucune scène car elle ne voulait surtout pas donner raison à son père, quelques mois seulement après son mariage. Elle aurait même proposé à Jules de recueillir Jacob avec eux, dès qu’il aura été sevré, ainsi il ne pourra pas prétexter une quelconque visite à son fils pour aller retrouver sa « putain de serveuse ». Jules aurait refusé, estimant qu’il ne voulait pas que la présence de cet enfant soit source de conflit dans son ménage. Par la suite, personne n’entendra plus parler de Jacob et de sa mère jusqu’au décès de Jules où Esther entreprendra de les faire rechercher. Elle nous parlera toujours de Jacob en le désignant comme « l’autre fils de son mari ».

Elle dira qu’elle aurait pardonné à Jules car il se serait montré par la suite, le plus charmant des époux. Elle n’arrivait cependant pas à comprendre ce qui leur était arrivé. Comment Jules avait-il pu entretenir une liaison parallèle tout en se montrant aussi empressé, aussi amoureux, faisant preuve de tant de complicité avec elle pour déjouer le refus de son père ? Cela relevait certainement d’une malédiction. Elle s’en prenait également à la mère de Jacob. Elle aurait certainement entraîné son mari, après lui avoir fait boire quelques verres de trop, pour lui faire un enfant et l’obliger à l’entretenir ainsi. « Les filles de bar sont toujours comme ça mais les hommes ne veulent rien entendre lorsqu’on le leur dit ».

Cette situation avait profondément affecté Esther qui se serait confiée à une amie qui lui proposera alors de se joindre à l’église évangélique qu’elle fréquentait. C’est ainsi qu’Esther se serait convertie au christianisme et aurait commencé à fréquenter le groupe de femmes de sa communauté religieuse. Elles se réunissaient régulièrement pour prier et parler de la vie de leur église.

Esther et Jules auront trois garçons qui porteront tous des prénoms musulmans, sans doute une manière de se réconcilier avec le père. Tous les trois enfants auraient été très maladifs à leur naissance. Jules lui-même aurait commencé à souffrir de divers maux après la naissance de leur premier fils. Les beaux-parents d’Esther l’auraient incriminée par rapport à l’état de leurs enfants. Ils avaient en effet estimé qu’elle avait du « mauvais lait » et l’aurait soumise à de nombreux traitements traditionnels. Elle aurait même été contrainte à ne pas allaiter son dernier fils et à le nourrir exclusivement au biberon.

Leur premier enfant décèdera à l’âge de six ans environ. Le second enfant allait décéder également dans la même année, quelques mois après son frère. Plus de deux ans après le décès de ce deuxième enfant, naîtra le troisième. Celui-ci également ne survivra pas longtemps et décèdera avant sa deuxième année. Quatre mois plus tard surviendra le décès de Jules après une longue hospitalisation.

En espace de quatre ans Esther avait perdu ses trois enfants et son mari avant d’apprendre qu’elle même était séropositive. Après le décès de son mari, Elle se lancera, avec un véritable acharnement, dans une longue démarche qui allait durer près de deux ans, pour retrouver « l’autre fils » de son mari. Cette attitude nous apparaîtra très curieuse mais nous la rattacherons d’abord naïvement à la procédure de la liquidation de la succession de son mari.

Elle entrera également en conflit avec sa belle famille qui, selon ses dires, essayait de la dépouiller de tous les biens du couple. Elle se battait toute seule et se sentait très abandonnée. Tout cela avait fini par l’épuiser physiquement mais surtout mentalement. C’est ainsi qu’elle était allée voir les services de l’Action Sociale et de la Famille pour un appui-conseil et un soutien juridique. Elle leur aurait également demandé de lui trouver un soutien psychologique car elle se rendait compte qu’elle avait besoin de parler de ce qu’elle vivait « au fond d’elle-même » mais ne pouvait pas le leur raconter. C’est ainsi que les services de l’Action Sociale et de la Famille l’avait orientée vers notre consultation.