4.2. yõyõose et sũkõomsé 26

Selon de nombreux historiens, yõyõoga et sũko-yõyõoga se rattacheraient à deux groupes ethniques distincts : les yõyõose et les Sũkõomse qui renverraient à l’histoire du peuplement d’une vaste partie de l’actuel Burkina qu’occupait l’Empire mõagha.

Les Yõyõose et les Sũkõomse seraient les descendants des populations autochtones avant la constitution de l’Empire du Mõogho et des royaumes mõosé entre le 13ème et 15ème siècles. Ils seraient tous issus du même ancêtre qui aurait réellement existé et qui se prénommait Bassi. Les Yõyõose et les Sũkõomse auraient progressivement été assimilés par les conquérants mõosé et se confondraient actuellement au groupe ethnique mõagha.

Ils auraient toutefois conservé leur particularité autochtone et culturelle en se désignant comme le groupe des « Tẽng-n-bissi » par opposition aux Mõosé «Nakõombse».

Les Nakõombse, (littéralement de nãba : chef-roi) sont les descendants mõosé, de Wédraogo conquérant et fondateur des royaumes et de l’empire mõagha. Les nanaamsé sont traditionnellement détenteurs du pouvoir politique.

Les Tẽng-n-bissi (littéralement fils de la terre ou du terroir) sont les descendants des populations autochtones. Ils ont le monopole des relations privilégiées avec le sacré, la Terre-mère, le ciel, Père-céleste et les éléments du cosmos. Ils constituent de ce fait des ordres mystiques et des sociétés religieuses et secrètes (ordre du yõyõore et du sũkõ) qui pèsent sur toutes les décisions concernant la collectivité et peuvent renforcer ou contrebalancer l’autorité des Nakõombse, détenteurs du pouvoir politique.

Les ethnologues et les anthropologues s’accordent avec les historiens sur l’origine généalogique commune des Yõyõose et des Sũkõomse mais discriminent deux ordres mystiques distincts fondés sur des affiliations à des ancêtres mythiques différents. Bassi, l’ancêtre historique des Tẽng-n-bissi, aurait eu trois fils de deux mères. Les deux premiers étaient des jumeaux et s’appelaient Kellé-Tẽnga et Buud-yaré. Leur cadet de mère différente s’appelait Zoalga.

Bassi avait eu un père mythique « Tẽng-n-pusumde » (littéralement ; celui qui émerge des entrailles de la terre). Il aurait été envoyé du ciel par Dieu, il serait descendu dans les entrailles de la terre et en aurait émergé pour enseigner l’ordre du yõyõore aux hommes. Il rencontra Bassi et lui transmis le yõyõore. Bassi initia ses trois fils au yõyõore. Les jumeaux le pratiquèrent et le transmirent à leurs descendants qui sont les yõyõose simples ou « benda ».

Cependant, Zoalga le cadet, bien qu’initié comme ses aînés, se désintéressait du yõyõore et préférait se promener dans la brousse pour jouer de la flûte. C’est ainsi qu’il rencontra un être étrange le Waongo (masque) qui prétendait être descendu du ciel, envoyé par Dieu pour enseigner l’ordre du sũko et le wiiré aux hommes. Il enseigna ainsi le sũko et le wiiré (danse se rapportant au sũko) à Zoalga. L’être étrange devint cependant farouche et cruel et menaça de détruire la descendance de Zoalga. Interrogé, il confia à Zoalga qu’il avait un principe tchonien et aérien dont l’union permanente pouvait déclencher des forces destructrices et difficilement maîtrisables. Pour éviter cela, il fallait enterrer le premier et garder l’autre à la surface de la terre. Zoalga fit une copie de l’être étrange qui fut chargé de pouvoirs mystiques beaucoup plus maîtrisables. (Ce fut le premier masque rituel). Zoalga fit du suko un ordre très puissant qu’il transmit à sa descendance. A sa mort, il se fit enterrer avec le masque originel (l’être étrange). Le plein pouvoir du sũko pouvait cependant être obtenu en mettant toujours en contact le principe tchonien, toujours enterré et le principe aérien, toujours suspendu.

Les descendants de Zoalga qui perpétuent l’ordre du sũko sont les Sũkõomse. (Étymologiquement enfants ou fils adoptifs du sũko). Par la suite le gnongnoré et le suko vont donner trois ordres différents. Les yõyõose, les Sũkõomse et le Sũko-yõyõose qui participent des deux ordres. Toutefois ces ordres restent inséparables et solidaires car « ce qui est descendu du ciel avait le pouvoir de descendre sous la terre et ce qui a émergé de la terre, provenait du ciel ».

Plus que des appartenances ethniques les yõyõose et les sũkõomse relèvent de différents ordres initiatiques, de sociétés religieuses secrètes dont le mystère n’a pas encore pu être dévoilé par les différents chercheurs, historiens, ethnologues et anthropologues. Ces ordres peuvent se transmettre de naissance ou s’acquérir sans distinction d’appartenance lignagère (du moins pour les différents groupes ethniques mõosé), l’initiation étant dans tous les cas un passage obligé. Leur acquisition nécessite cependant une longue initiation spartiate, une pureté et une intégrité absolues et une éthique rigoureuse dans l’usage, sous peine d’être sanctionné par la mort. Ces différentes conditions sont de plus en plus difficiles à réunir avec les nouveaux modes de vie introduits par la société moderne et ces ordres tendant actuellement à se résumer à leurs diverses expressions folkloriques. Il semble néanmoins que l’esprit de ces ordres, notamment du sũko peut choisir de posséder électivement les descendants des lignées, même s’ils n’en ont jamais été en contact. Dans ce cas, un rituel d’affiliation s’impose. Interrogés sur ce sujet, les maîtres du sũko répondent que le sũko est une « chose » des ancêtres, il est vivant et refuse de disparaître et tenterait ainsi de s’incarner et de survivre dans les générations futures en dépit du nouvel ordre social et des nouvelles croyances qui récusent sa réalité.

Il nous semblait, au cours de la prise en charge de Benjamin que sa problématique psychique s’articule autour d’une telle réalité culturelle et métaphysique.

Notes
26.

Pour ce qui concerne les Sũkõomse et les Yõyõose, on peut se référer aux travaux suivants :

DIM Delobsom, (1933), L’empire du Mõogho-Nãba, coutumes des mossis de la Haute-Volta, Paris, Domat- Mont chrétien, 1933.

-(1934), Les secrets des sorciers noirs, édition Nourry, Paris, 1934.

IZARD M. (1970), Introduction à l’histoire des royaumes mossis, T1, CNRS-CVRS, Ouagadougou, 1970.

MANGIN E. Les Mossis. Essai sur les Us et Coutumes du peuple Mossi, du Soudan Occidental. Maison carrée, 1960.

PACERE T. F. Le langage des tam-tams et des masques en Afrique, L’Harmattan, Paris, 1991.

PAGEARD R. Recherche sur les Nioniossé, études voltaïques, CNRS –CVRS, Ouagadougou, 1963.

SAWADOGO S. L’art du waongo chez les yõyõose du Kourwéogo. Mémoire de Maîtrise. FLASHS. Université de Ouagadougou, 1999.

YAMEOGO Etienne. Tentative d’approche et de compréhension du Suku, langage secret des masques. Mémoire de Maîtrise, Université de Ouagadougou, 1991.