4.3. L’histoire des parents de Benjamin

Le père de Benjamin serait donc d’origine Sũko-yõyõaga. Benjamin nous dira que son père évoquait peu ses origines et éludait toutes les questions qu’il lui posait à ce sujet. L’ambiance familiale était cependant emprunte de ces origines et la sœur aînée de Benjamin aurait été amenée à réaliser des travaux de recherche sur le sujet. Benjamin dira qu’il tenait tout ce qu’il nous disait de sa grand-mère paternelle qui le lui avait raconté mais qui était décédée trop tôt avant qu’il ne puisse satisfaire totalement sa curiosité.

Son père aurait été initié dès le jeune âge au Sũko-yõyõore. Les maîtres de l’initiation avait décelé en lui l’objet d’élection de l’esprit du sũko et l’avait progressivement préparé pour assumer plus tard les fonctions de maître de sũko. Cependant, à cette époque, un mal mystérieux décimait la lignée paternelle. Il y avait beaucoup de morts et peu de naissances. On avait alors pensé que c’était l’esprit du waongo, l’esprit mystique du suko qui sévissait à nouveau par sa cruauté. Mais, selon Benjamin, il semblerait que ce serait les membres de la famille qui avaient plutôt déchaîné l’esprit du yõyõore pour se nuire réciproquement par jalousie, à la faveur du nouvel ordre politique, des bouleversements sociaux et des conflits introduits par la colonisation et le christianisme naissant. Le père de Benjamin, alors jeune homme était au courant de toutes ces intrigues qu’il désapprouvait et essayait malicieusement de se soustraire à ses futures obligations.

Il fut réquisitionné à plusieurs reprises pour les travaux forcés en Côte d’Ivoire, à Bamako ou encore à Dakar. Mais son jeune frère qui était encore plus rusé et qui parlait un peu la langue française, s’arrangeait toujours pour le remplacer au dernier moment et occuper les fonctions d’interprète en lieu et place des travaux forcés. Le père de Benjamin fut néanmoins mobilisé pour la deuxième Guerre Mondiale et quitta la famille pour la formation militaire. Alors qu’ils se préparaient avec beaucoup d’autres pour la campagne de la libération, survint la capitulation du 8 mai 1945, ils furent tous démobilisés et rendus à leurs familles.

Revenu chez lui, le père de Benjamin décida de quitter son village natal pour s’établir dans une localité distante de quelques dizaines de kilomètres. Là il fut recueilli et hébergé par l’un des premiers catéchistes formés par les pères blancs. Il y resta quelques années, se convertit au catholicisme, se maria et alla s’établir définitivement dans une autre localité plus éloignée.

Benjamin nous dira que la famille de son père lui en voulait beaucoup pour sa fuite et sa conversion qu’elle considérait comme une trahison. Les anciens de son village l’auraient même accusé auprès du suzerain féodal dont relevait leur contrée, d’avoir fui avec la jeune fille qui lui avait été promise. La mère du père de Benjamin, qui était issue de la lignée du Mõogho-Nãaba, aurait usé de l’influence dont elle jouissait auprès de la chefferie traditionnelle pour protéger son fils.

Cependant le clan des yõyõose de la famille paternelle aurait continué à harceler son père jusqu’à son décès accidentel et mystérieux qui était survenu deux ans après le début de la prise en charge de Benjamin.

Dès son arrivée dans la localité où il s’était établi définitivement, le père de Benjamin s’était construit une case traditionnelle mõogha qu’il habitait seul, à l’écart des autres maisons de la cour ; (case ronde faite de terre battue et de toit de paille). Malgré l’insistance des membres de sa famille pour qu’il rejoigne la maison qu’ils habitaient, il n’avait pas obtempéré et avait tenu à habiter cette case. Benjamin nous dira qu’il était certainement convaincu de recevoir un jour où l’autre « la visite des yõyõose » et voulait ainsi mettre sa famille à l’abri de tout éventuel attaque de leur part 27 .

Le père de Benjamin était mort sous les décombres d’un pan de sa case qui s’était « mystérieusement écroulé » en pleine saison sèche et sans lézarde constatée. C’est ce qui faisait croire à son entourage que les yõyõose avaient finalement eu raison de lui en le punissant ainsi de ce qu’ils considéraient comme une trahison après un combat mystique et occulte qui avait duré plus d’un demi-siècle car le père de Benjamin était, lui aussi, initié au yõyõore et était en plus sous la protection du sũko. Benjamin dira qu’il avait « laissé faire » car il était très âgé et fatigué. Il avait plus de 90 ans.

Notes
27.

27 Le terme des yõyõaga dérive étymologiquement du verbe « yonsé » qui signifie « marcher sans bruit », « se déplacer de manière éthérée ». Le terme yõyõaga ou nyonyõoga (autre graphique) se rapporterait ainsi à la faculté des nyonyosé de se rendre invisibles, aériens en chevauchant les éléments cosmiques pour lancer des attaques imprévisibles et imparables contre leurs ennemis. Ils pouvaient ainsi recourir à la tornade et à la foudre pour se venger de leurs ennemis en faisant écrouler leurs habitations sur eux.