2. RETOUR A LA PROBLEMATIQUE ET AUX HYPOTHESES DE LA RECHERCHE

Notre étude sur les enjeux culturels et psychopathologiques de la pratique de la thérapie mixte au Burkina Faso s’inscrit donc dans le contexte ainsi défini.

Dans ce contexte d’acculturation, pluriculturel où de nombreuses sociétés du Burkina et d’Afrique Noire se trouvent confrontées à de nouveaux systèmes de pensées, à de nouvelles croyances, institutions et organisations qui bouleversent les systèmes de pensée, les croyances et institutions traditionnelles, la problématique de la thérapie mixte, avec le phénomène du zapping thérapeutique qui l’accompagne, peuvent se prêter certes à une lecture dans une perspective d’anthropologie médicale.

Les patients et leurs familles, qui par ailleurs se trouvent dans des situations de précarité pour la plupart, fréquenteraient les structures de soins modernes, beaucoup plus, pour des raisons d’efficacité, dans l’éradication des symptômes de leurs maux. Toutefois, cette efficacité médicale n’apporterait pas de réponses suffisamment apaisantes et/ou signifiantes aux inquiétudes et aux angoisses existentielles qui, elles, restent intimement liées à la notion du mal, à la vision du monde et au sens de l’événement dans les systèmes de références symboliques et dans les croyances propres à la culture de base de ces populations. Outre les raisons économiques, ces populations se retourneraient, pour cela, vers les systèmes de soins traditionnels qui incluent les guérisseurs, mais surtout les divins et assimilés. Elles recourraient également à de nouvelles formes de thérapies que nous avons qualifiées de religieuses et/ou syncrétiques. Ces nouvelles formes de thérapie semblent constituer autant d’espaces transitionnels et transculturels où tentent de s’élaborer à travers des formations intermédiaires, des expériences de rupture et qui permettent l’adaptation au nouveau contexte (le monde moderne) et l’intégration des nouveaux systèmes tout en préservant l’identité et les particularités culturelles des populations.

Cependant, n’est-ce pas là, et dans une autre perspective, poser la question de la fonction métapsychologique du registre socioculturel, de ses incidences sur la psychopathologie et sur les différentes interprétations et modes de traitement qui s’y rapportent, dans un contexte d’anomie, de désagrégation et de désorganisation qui mettent à mal les structures et les institutions traditionnelles ?

Ce registre contient l’ensemble des énoncés fondamentaux qui concernent le groupe, sa vision du monde ; les certitudes sur le sacré, sur ses origines, sur son passé et sur un possible avenir pour lui et pour ses membres. Il constitue l’espace où le sujet peut advenir en adhérant au champ du social, qui le précède, l’accueille et le contient, et en reprenant pour son propre compte, le discours sur les énoncés fondamentaux. (AULAGNIER P., 1975).

Dans un tel contexte, il nous semble en effet que la pratique de la thérapie mixte et le zapping thérapeutique qui l’accompagne s’inscrivent dans le jeu avec l’espace des possibles ; entre désir de liberté, de construction et de réalisation individuelle et nécessité de prise en compte des intérêts et des préoccupations de l’ensemble, dont le sujet est consubstantiel.

La thérapie mixte regrouperait ainsi plusieurs types d’interventions qui articulent des niveaux logiques et épistémologiques différents, autour des préoccupations du sujet et du groupe, à travers les différentes démarches thérapeutiques dont nous avons fait cas dans la problématique de notre recherche.

A travers les différentes « offres de soins » et les recours simultanés ou successifs à ces offres, qu’est-ce qui est mobilisé et qu’est-ce qui se rejoue de la problématique du sujet et/ou du groupe ; dans la dynamique du sujet singulier, dans celle qui appartient au groupe, dans leurs aspects intrapsychiques, intersubjectifs et transubjectifs ? Qu’est-ce qui est en souffrance ? Qu’est-ce qui est traité ? Comment l’est-il et dans quel cadre ?

Dans ce contexte, il nous semble que la pratique en psychopathologie, qu’elle se rapporte au soin ou à la recherche fondamentale, commande que ces différents questionnements soient maintenus en toile de fond de la praxis et que le thérapeute et/ou le chercheur se positionne dans une double décentration face à son objet et à ses préoccupations 28  :

  • décentration du sujet sur un ou des objets, de plus en plus vastes, qui le précèdent, l’accueillent et le contiennent, tout en maintenant un objectif focal sur la problématique du sujet singulier ;
  • décentration à l’égard du discours du sujet et/ou du groupe sur les énoncés qui les fondent historiquement, culturellement et sociologiquement, mais aussi à l’égard des outils théoriques et conceptuels auxquels se réfère le thérapeute et/ou le chercheur dans sa pratique.

C’est dans une telle perspective que nous tenterons d’analyser les différentes observations et situations cliniques que nous avons rapportées plus haut.

Notes
28.

A propos de la nécessité de la double décentration, dans la pratique de la psychopathologie en Afrique Noire, on peut lire avec intérêt le point de vue du médecin psychiatre ivoirien, développé dans son ouvrage :

DIMY TCHETCHE G., (1998), Psychiatrie en Afrique Noire et contexte socioculturel, Paris, L’Harmattan, 1998, 270 p.