2.3. GROUPES DE THERAPIES RELIGIEUSES ET EGLISES DE GUERISON : LE RECOURS AUX SYNCRETISMES COMME TENTATIVE DE RESTAURATION DE L’ESPACE DU JEU DES POSSIBLES

L’analyse des situations cliniques dans les chapitres précédents nous permet de tirer le constat suivant :

Les démarches de consultations divinatoires dans la pratique de la thérapie mixte, apparaissent, dans le contexte de la désagrégation des institutions et des organisations, comme le moyen d’accéder aux référents de la culture de base par le détour de l’institution divinatoire et à travers les différentes interprétations de la psychopathologie, de la réalité psychique et des conflits qui en émanent.

L’interprétation de la psychopathologie comme un resurgissement du kinkirga dans l’espace humainement socialisé, comme des attaques des forces et esprits surnaturels et invisibles, des actions de tiers malveillant, permet de réinscrire le mal être des individus dans le malaise de la civilisation et dans la crise de référence aux identités partagées.

Une telle interprétation de la psychopathologie semble ouvrir potentiellement un espace de mise en forme et d’élaboration de la réalité psychique, en soutenant l’activité de représentation et du refoulement. Métaphoriquement, elle permet le travail de la culture et le refoulement du kinkirga (la pulsion) dans les espaces qui lui sont culturellement et socialement circonscrits

De telles démarches semblent s’inscrire, beaucoup plus, dans une dynamique groupale et réaffirmer la nécessité de l’articulation des problématiques singulières dans une perspective intersubjective et transubjective, dans les rapports sujet-groupe-culture et dans les rapports individus-sociétés.

Par l’entremise de l’institution divinatoire, de telles démarches et interprétations aidaient l’individu à refouler son kinkirga, à l’humaniser, en réinscrivant les conflits et les crises existentielles dans le drame de la vie humaine, par le biais du mythe originel et du conflit originaire (le mythe de la création de l’humain et du conflit entre l’Homme et le kinkirga).

De telles opérations psychiques et sociales reposaient, d’une part, sur la prise en compte de la singularité de chacun, la reconnaissance du kinkirga, du caractère impérieux et irréductible des besoins de satisfactions pulsionnelles en tous, et d’autre part, sur une remise en cause et un réquestionnement ritualisés et contrôlés, du contrat narcissique, des énoncés fondamentaux du groupe, de ses attentes et projets à l’égard et sur chacun de ses membres. Elles ouvraient ainsi l’espace où le sujet pouvait advenir et s’assumer pleinement dans sa réalité, comme singularité et membre d’une communauté humaine, historique, géographiquement et culturellement définie.

Cependant, s’assumer pleinement comme sujet et membre d’une communauté, implique la nécessité de la prise en compte des intérêts et des préoccupations collectifs dans les désirs de liberté, de construction et de réalisation de soi. Cette dimension, de la dialectique et du drame de l’existence humaine, implique nécessairement la prise en compte des avatars de l’histoire conjoncturelle des individus et des communautés, du sujet et du groupe. Dans les processus de transmission transgénérationnelle, dans les rapports intergénérationnels et dans ceux qui régissent la vie des individus et des communautés, ces avatars peuvent comporter des ruptures et des blessures profondément narcissiques qui rendent périlleux le retour du groupe à ses propres énoncés fondamentaux et du sujet aux référents de la culture de base. Y recourir comporte un risque potentiel de réactivation des conflits historiques, narcissiquement blessant et profondément déstabilisant, pour tous et pour chacun. Il nous semble que ce soit le cas dans les différentes situations cliniques que nous avons présentées. Dès lors, la mise en place de nouvelles formations intermédiaires, transculturelles et l’institution de nouveaux modèles de thérapie, s’imposent pour permettre aux communautés d’offrir à leurs membres, les moyens nécessaires pour élaborer et franchir les conflits et les crises qui jalonnent leur existence, tout en préservant l’équilibre des individus, la cohésion et l’harmonie du groupe. Peut-on alors faire l’hypothèse que l’émergence, l’engouement et le recours aux nouvelles formes de thérapies religieuses et syncrétiques, dans la pratique de la thérapie mixte et du zapping thérapeutique, obéissent et participent à une telle nécessité ?