1-2. Primauté de l’énonciation sur la référence

Dans les pages qui suivent, on s’arrêtera sur le thème de la primauté de l’énonciation sur la référence qui vient d’être mis à jour. Dans une perspective sémiotique, on le développera de manière à faire apparaître une conception du langage comme action. Elle nous servira de base pour rapprocher le schéma narratif de la conception pragmatique du langage.

La référence de l’énoncé-discours s’identifiera, on l’a vu, avec l’univers présuppositionnel construit par l’acte d’énonciation. Du point de vue tensif, on dira qu’elle occupe l’un des deux pôles à la fois présupposés et reconstruits par l’instance intéroceptive, tant qu’elle est le centre d’organisation du discours en acte. Il s’agit donc du monde externe tel qu’il est sensoriellement informé par le corps qu’il affecte dans son acte de perception et tel qu’il le re-présentera en univers du sens commun, « Topos ». En amont de l’acte d’énonciation, le prime actant-non sujet aurait été déterminé sous un certain rapport par le flux perceptif venu de la morphologie de son entour. Au titre de second actant, l’univers référentiel du sujet énonçant donnera naissance à la « non-personne » à propos de quoi il se pose comme sujet en assumant le contenu propositionnel de son assertion : le non-sujet qui est le lieu de rencontre entre deux univers intéro-et extéroceptif se constitue en sujet qui s’énonce comme tel en disant /Je/ dans la structure intersubjective de son acte d’énonciation. Le contenu référentiel du discours en acte est en relation bilatérale avec le contenu énonciatif où il apparaît comme l’absence présentifiée qui en contraint l’instance de production (et de lecture).

Le cadre formel d’investissement des valeurs dans l’objet-figure du monde sera considéré comme le fondement d’un modèle syntaxique de la communication humaine qui a pour visée de rendre compte de la transformation du second actant par programmation d’action. Tout en respectant leurs propres domaines d’investigation, on se demande si le schéma narratif gagne en efficacité descriptive quand il sera rapproché de la conception pragmatique du langage. Ce rapprochement sera d’autant plus intéressant que le langage se définit comme ce qu’il signifie en philosophie analytique (qui est à l’origine de recherches en pragmatique). Or ce que le langage signifie, c’est ce que l’on fait avec lui. L’action du signe linguistique, c’est ce qu’on appelle l’effet illocutoire en termes de la théorie des actes de langage. C’est en agissant que chacun des interactants contribue à construire un espace textuel collectif sur le principe de coopération et d’ « implicature ». Ainsi le sujet de parole entre-t-il en interaction avec l’autrui via la médi-action qui est rendue possible par la mise en place de ses compétences sémio-linguistiques entre le « réel » et son monde intérieur. La structure sémantique de l’énoncé-discours qu’elle produit est de nature dichotomique en ce sens que le locuteur qui la prend en charge y pose un contenu explicite, « le dit » pour renvoyer à l’autre niveau du sens implicite, « le dire ». L’une des définitions qu’on donne en pragmatique à l’acte d’énonciation repose sur le jeu de décalage qu’il peut y avoir entre le dire (énonciation énonçante) et le dit (énonciation énoncée). Le glissement sémantique qui se produit alors lors d’un acte de langage s’expliquera par le fait que l’on veut faire illocutoirement plus qu’il ne le dit. Pour déterminer la valeur en usage d’une grandeur linguistique, il faudra donc savoir dans quelles conditions de « réussite » elle s’emploie dans son rapport à des actants participant au même processus de communication. Cela permettra de comprendre comment les « jeux de langage » se lancent entre eux. De son côté, J. Searl met en avant trois paramètres de la typologie des actes illocutoires (Assertif, Directif, Promissif, Expressif, Déclaratif) :

En les combinant, on arrivera à comprendre le pouvoir méta-discursif auquel le sujet énonçant recourt pour remédier à l’écart qui survient lorsque l’on passe entre trois dispositifs intentionnels : l’intentio auctoris, l’intentio operis, l’intentio lectoris.Dans une autre perspective, le calcul de déformabilité intentionnelle qui s’en dégage donnera des indices formels sur la manière dont il procède à la « petite schizie » à chaque fois que le sujet énonçant débraye sur son discours énoncé pour parler à la troisième personne du réel érigé en second actant (J.C. Coquet), cette construction référentielle, /IL/, s’accomplissant au prix de la béatitude du « sens vécu ».