2. Référence chez Saussure

On sait que la sémiotique greimasienne met en valeur la participation active du sujet à la construction de l’univers du sens commun en éclipsant en quelque sorte le problème de la référence dans sa version ontologique, ce qui aboutit à le remplacer par la problématique de la véridiction qui est plus intéressante du point de vue immanentiste. Dans la tradition saussurienne, il est de même généralement admis que la question de la référence n’est pas pertinente pour déterminer la spécificité des langues naturelles dans le découpage du monde par leurs catégories. En effet le système de signes linguistiques se caractérise, selon Saussure, par trois principes d’organisation majeurs applicables à tout autre système sémiologique : l’arbitraire du signe, ses caractères associatif et syntagmatique et la valeur différentielle et négative de chacun des signes qui forment le système synchronique.

Concernant la théorie de la référence, on s’appuie sur ce que dit S. Bouquet dans son ouvrage Introduction à la lecture de Saussure. ll y essaie de reconstituer la pensée théorique de Saussure à partir des manuscrits originaux. En conséquence il remet en question la théorie du signe linguistique telle qu’elle est présentée dans Cours de linguistique générale. D’après lui, Saussure affirme le double caractère de la sémantique synchronique qui n’est rien d’autre qu’une nouvelle science de l’esprit. Elle a pour visée de mettre à jour les lois du langage tout à la fois « dans ce qu’elles ont d’absolument spécifique et sans interposition de limite entre elles et l’ensemble des phénomènes psychologiques. » (Saussure cité in Introduction à la lecture de Saussure, Payot, 1997, p. 211.) C’est le projet initial d’une science des signes inauguré par Saussure et auquel la linguistique s’attache comme partie intégrante. S. Bouquet attire l’attention ensuite sur le fait que la deuxième expression a été omise dans le « Cours » pour reprocher à ses éditeurs d’avoir déformé la pensée originaire de Saussure qui a envisagé les faits du langage dans les aspects universaux de sa spécificité ainsi que dans son lien à « l’ensemble des phénomènes psychologiques ». L’infidélité méthodique qu’il critique entraîne par voie de conséquence une théorie du signe linguistique qu’il qualifie de « parfaitement abstruse » quant à la question de référence. Pour en rendre compte, il met en exergue le principe d’arbitraire du signe en disant qu’il repose sur deux théories du signe distinctes : le caractère psychologique des classes d’objets phonologiques et sémantiques, et la mise en forme de la substance extralinguistique, à savoir, la transformation systémique en objets linguistiques du continuum physiologique de la matière sonore, d’un côté et du continuum psychologique de la matière à signifier, de l’autre. La masse à double face qui est d’ordre sensible s’avère ce qui est commun à la faculté cognitive de l’esprit humain et au découpage arbitraire du support continu par la forme linguistique discontinue. La sémantique linguistique ou la science de l’esprit, comme le suggère Saussure, pourra être ainsi envisagées dans leurs rapports aux phénomènes cognitivo-perceptifs sans pour autant négliger la spécificité des faits du langage qui joue le rôle prépondérant dans la plupart des pratiques humaines.

De la critique qu’il adresse ainsi aux éditeurs du « Cours », on essayera, dans les deux sections qui suivent, de tirer des conséquences dans les directions de recherche suivantes : socio-sémiotique et sémiotique tensive et cela par le biais de la problématique de la figurativité.