1-2. Prégnance perceptive en profondeur

Les auteurs de l’hypothèse vont jusqu’à affirmer que le schématisme métaphorique à caractère spatial prend déjà un trait prégnant dans nos actes, non pas seulement langagiers, mais et surtout cognitifs dans son sens le plus large. La prégnance perceptive qui s’en implique fait du langage spatial ce qui rend intelligible notre vécu originaire. Le rôle de régulateur de la diversité sensible qu’il conviendra de lui donner nous renvoie ainsi au niveau profond du langage spatial.

Dans une telle approche cognitiviste, la métaphore spatiale n’est plus conçue comme une figure rhétorique, ni comme l’une des deux grandes catégories des activités langagières (R. Jakobson). Elle s’éloigne d’opérations de transfert du sens qui serait dès lors déplacé, voire « déviant » par rapport à la structure sémémique, « sens propre » du terme remplaçant. Mais elle est tout aussi adéquate à l’égard du terme remplacé, ce dernier étant associé au terme remplaçant grâce à l’intersection sémique du champ métaphorique.

Le mécanisme de métaphorisation devient un dispositif très abstrait, épure hypoiconique qui nous permettrait de ménager un lieu de transformations topologiques où s’opère le passage d’un ensemble de données perceptibles A à d’autres ensembles d’ordre conceptuel B, C, D.. etc. Il s’agirait d’une phase de la sémiosis dans laquelle seront sélectionnées des invariantes perceptivo-cognitives qui leur sont communes. Elles donneraient le soubassement sensible à l’organisation homologique qui recouvre les deux « collections d’objets » dans leur relation de proportionnalité. Mais il faudra noter au passage que la sémiotique peircienne distingue sous le nom d’hypoicône trois choses différentes : l’image (pure qualité perceptive), le diagramme (rapport dyadique) et la métaphore (rapport triadique).

Cette manière de concevoir la métaphore n’est pas sans évoquer le concept de semi-symbolisme. Il s’agit alors d’un système de correspondances qui ne repose pas sur la relation terme-à-terme entre des figures relevant d’un minimum de deux espaces hétérotopes d’ordre conceptuel. Il spécifie la mise en corrélation homotope qui permet à ces champs sémantiques de se substituer les uns aux autres à l’intérieur d’un ensemble plus global de transformations paradigmatiques.

En conséquence, on peut affirmer que la figurativité spatiale ne sera plus l’un des dispositifs du discours en surface. De même qu’elle exerce une influence sur l’univers d’action qui se construit au niveau sémio-narratif, la figure topologique est déjà prégnante en carré sémiotique, que ce soit sous la forme de modèle constitutionnel (taxinomie relationnelle) ou de syntaxe fondamentale (dynamique de ses valeurs différentielles). Ce qui conduira à dire que la morphologie dynamique du langage spatial est ce qui s’avère nécessaire à la catégorisation comme carré sémiotique. C’est en soulignant la prégnance de la figurativité spatiale que l’on pourra se rapprocher de la sémiotique tensive dont les fils directeurs mettent en place des notions d’origine localiste comme « champ de présence », « profondeur », « horizon », etc.