1. Instance de médiation sémio-narrative

1-1. Fiducie de l’acte d’énonciation et véridiction de son discours

L’acte d’énonciation est d’abord conçu par Greimas comme l’instance de médiation. Il a donc pour fonction de jalonner l’imaginaire anthropologique de la quête du sens considérée comme le processus global de l’action humaine qui se trouve encadrée, cognitivement modalisée par deux moments du schéma narratif : Manipulation et Sanction. Concernant la première définition que l’auteur en donne, on s’intéressera plus particulièrement à la « croyance » du sujet d’énonciation.

Si on suit la position que J. Geninasca prend sur la question de la fiducie, il sera possible de dire que la modalité /croire/ ne repose pas tant sur le système de valeurs qu’incarne le Destinateur que sur le socle « passionnel » des actes de perception du sujet voulant. De même que l’actant-Destinateur n’est qu’un des avatars du sujet de lecture (Sujet du Discours) d’après J. Geninasca, l’univers de croyance de l’énonciateur ne peut pas être suffisamment rendu chez Greimas indépendamment des modes de connaissance qui constituent l’ensemble de réseaux associatifs du savoir de son énonciataire : les instances productrice et interprétative relèvent du même régime fiduciaire du sujet d’énonciation. A la différence de la théorie de la communication ou de la logique classique qui s’intéressent au problème d’adéquation du message transmis (ou de la proposition) au « réel » (ou des valeurs véri-conditionnelles), la sémiotique prête de l’importance au processus de « négociation » qui engage deux pôles de la communication, l’objet-message circulant entre eux. Dans une telle perspective pragmatiste, il n’est plus question du référent vrai qui est extérieur au champ d’interactions sociales. Il s’agit de la notion de contrat fiduciaire qu’il faut considérer comme la résultante de la mise en coordination des « Ethos » de ceux qui s’y engagent. La modalité /croire/ de l’acte d’énonciation débouche sur la véracité discursive. Le problème de la vérité ontologique devient d’emblée une problématique de la modalité véridictoire du discours. Elle s’installe progressivement sur l’espace textuel par une série de stratégies énonciatives qui ont pour effet de produire l’ « illusion référentielle ». Le simulacre du réel ainsi construit se joue sur la dialectique entre /Paraître/ et /Etre/. Le destinateur, en tant que délégation de l’instance d’énonciation, assume un acte factitif /faire-savoir/ en vue de persuader son corrélat actantiel d’adhérer au système de valeurs qu’il soutient. L’énonciateur n’est pas un simple émetteur de signaux dont l’aire d’action serait strictement déterminée par le code qui leur donne naissance. Sa compétence discursive ne puise pas dans l’inventaire d’informations probables qu’il encoderait en messages transmissibles et décodables. Mais, il est un actant-sujet qui, après avoir anticipé sur l’éthos de son partenaire, s’inscrit dans un événement de communication qui est de l’ordre intersubjectif, voire intertextuel. Quant à l’énonciataire, il accomplit un acte interprétatif /croire-vrai/ pour évaluer l’objet-message qui lui est transmis par le faire argumentatif de l’énonciateur dans le cadre de l’échange de valeurs. L’énonciataire n’est pas un récepteur de messages qui ne ferait que décoder les informations procéduralement programmées. Mais, il est une instance vivante qui perçoit et qui interprète pour « comprendre » l’objet-message véhiculé en se basant sur son propre système de valeurs et d’attentes. L’énonciataire se représente d’ailleurs une certaine image qu’il croit conforme à celle que l’énonciateur se donne de lui-même.

Ce qui permet toute communication interactantielle, c’est la mise en place d’un contrat fiduciaire qui a donc comme éléments deux modalités distinctes mais indissociables : modalité épistémique /savoir certain/ et modalité véridictoire /croire vrai/. La croyance se définira comme une configuration fiduciaire composée de ces deux volets modaux. Au palier sémio-narratif, le sujet d’énonciation se voit modalisé par deux types d’actes cognitifs : l’acte épistémico-factitif en Manipulation et l’acte évaluativo-interprétatif en Sanction. Ce qui s’articule dans l’univers de croyance du sujet énonçant, renvoie ainsi à sa vision du monde corrélée à l’univers référentiel du sens commun. A l’occasion d’un événement communicationnel, l’actant d’énonciateur se charge de produire un énoncé-discours en organisant des marques véridictoires en un système cohérent. A leur tour, les signes à vocation véridictoire doivent être soumis à l’épreuve épistémologique de l’actant d’énonciataire qui contribue, à sa manière, à l’instauration de la « vérité discursive » en donnant à ces « faits », l’existence ou la non-existence.