3-1. Langage comme « embodiment »

Notre argument est de partir du constat banal que le concept de « embodiement» qui a été marginalisé dans les courants de pensée moderne réapparaît avec un tel éclat qu’il devient le pivot de recherches en science cognitive et sémiotique. Initialement élaborée par la phénoménologie husserlienne, cette nouvelle manière de philosopher a pour effet de remettre en question le fondement même de la « scientificité », car son objet d’investigation qui reposait sur l’objectivité empirique se déplace désormais vers les rapports participatifs, « paradoxe de l’observateur », qui existent entre le sujet épistémologique et l’objet de connaissance. Le retour en force de la phénoménologie oblige par conséquent à renouveler les méthodologies dans les disciplines concernées. Ce constat nous conduit à affirmer que l’organisation sémantique du discours résulte de la position de l’instance d’énonciation implicite qui le prend en charge et que ce dernier s’y exprime pour montrer sa « présence ». La structure intersubjective qui lui est sous-jacente acquiert ainsi le caractère sensible du champ perceptif dont la profondeur et les frontières sont fonction de l’intentionnalité de l’observateur implicite, c’est-à-dire le rapport de bi-directionnalité entre deux actants positionnels, source et cible. En d’autres termes, le sujet énonçant qui prédique en s’assumant plus ou moins devient, d’un point de vue phénoménologique, le sujet sensible dont le rapport avec l’objet perçu laisse apercevoir le champ de présence où il s’immerge.

Dans la perspective de sémiotique tensive et de praxis énonciative, l’instance d’observation s’installe d’emblée entre le système virtuel de signes linguistiques et le discours réalisé de sorte qu’il n’est plus question de dichotomie entre langue et parole. Entre les deux variétés du langage, se situent une série de « manières de parler » qui sont chacune spécifiques des sphères de pratiques humaines et qui sont schématisées en usage et déposées en mémoire par la praxis énonciative. La signification « en langue » s’effectue en contexte comme le support de manifestation qui permet au sujet énonçant de déployer en figures son expérience spatio-temporelle, à savoir sa présence à l’autre et au monde et cela sur deux gradients de l’intensité émotive et de l’étendue perceptive, deux échelles de modulations qui sont mises en isomorphisme structural par le « corps propre » implicite dans la catégorisation linguistique. Cela peut vouloir dire que le sens du mot, qu’il soit la valeur différentielle dans un système de signes arbitraires (Saussure) ou la valeur « en emploi » (Wittgenstein), devra dépendre en quelque sorte de la « tonalité émotionnelle » (Bakthine) du sujet d’énonciation.