2-3. Esthésie du discours en acte

La dimension passionnelle du discours en acte joue ainsi sur le processus sémiosique d’ordre sensible qui mobilise le minimum de deux éléments invariants : degrés de la tonicité émotionnelle du sujet de perception et modalité /apparaître/ de l’entité objectale perçue. Ils entrent dans un rapport singulier, non pas formel, mais quasi-esthésique dans la mesure où deux gradients valenciels sont corrélatifs l’un de l’autre à travers la présence d’une instance proprioceptive qui procède à la mise en profondeur du flux perceptif où elle s’immerge. Le corps propre ne signifie pas tant un organisme singulier dans son aspect chimico-physiologique qu’une fonction tensive qui lui permet de se présenter comme un sujet individuel ou collectif à partir de ses expériences d’ « être au monde ». Dès lors, il peut jouer le rôle d’opérateur de rayonnement dans le monde d’objets auxquels il donne sens. Ainsi le sujet percevant y projette-il des formes catégorielles, tantôt intéroceptives, tantôt extéroceptives de manière à ce que la matière du monde naturel se transforme en une sémiotique du monde des figures sensible. Grâce à la sémiosis d’ordre perceptif, le continuum 1 du sens sera susceptible d’une intelligibilité et donc d’une accessibilité à soi ainsi qu’à l’autrui.

L’acte de catégorisation s’impose en stabilisant l’ensemble de tensions dues à la dépendance qui sous-tend l’opération de mise en corrélations valencielles entre deux gradiences de l’intensité perceptive et de l’étendue quantitative par la présence du sujet tensif. En contrepartie, l’acte de perception qui oriente de façon intentionnelle le champ de présence se donne à voir en dynamisant la différence dominant l’organisation de valeurs qui s’interdéfinissent dans leurs positions relationnelles à l’intérieur d’un système. En dernière instance, l’examen du concept de tensivité nous montre qu’il s’agit de deux types de mode d’organisation, modulation et discrétisation, qui correspondent aux deux sémantiques : sémantique du continu et celle du discontinu. 2 De là vient la double subdivision dont parle Hjelmslev. De notre côté, nous en avons rendu compte en faisant la différence entre la zone distinctive (terme simple) et les régimes participatif et exclusif (termes complexe et neutre).

Notes
1.

Selon U. Eco, le terme de mening en danois, qu’on traduit en français, soit par matière, soit par sens, est le continuum perceptif qui n’en reste pas moins sensible à l’ensemble de grands axes d’orientation préexistants.

2.

Les auteurs de la sémiotique tensive s’appliquent à expliquer le rapport entre différence et dépendance sur le postulat suivant : alors que la valeur s’articule sur le mode du discontinu, les valences qui sont corrélatives modulent sur chacune des deux échelles graduelles de la tonicité perceptive. Ce qui les conduit à affirmer que celles-ci sont à comprendre comme précondition d’émergence de celle-là :

« Les corrélations doivent être au principe même de l’opposition distinctive des unités constitutives du paradigme : i) la valeur met en oeuvre deux valences liées entre elles par une fonction, de sorte que les valences, par définition, vont toujours au moins « par deux » (...), la tension entre les valences étant, de fait, constitutive des métatermes de la structure élémentaire ; ii) c’est en raison de leur dépendance à l’égard de l’interaction tensive des valences que les traits ne sont pas seulement des traits énumérables, mais des valences liées. » (ibid., p. 23-24.)

Le micro-univers sémantique peut être configuré en une structure élémentaire de la signification dans son double aspect fondamental (taxinomique et directionnel), à condition que les valeurs qui s’y trouvent articulées soient en préambule soumises à l’épreuve des corrélations tensives qui s’opèrent dans la profondeur du champ de présence.