3. Organisation « hypoiconique » du sens

3-1. Profondeur tensive et degrés de prototypicalité

A ce titre, l’approche tensive et/ou localiste du sens est méthodologiquement compatible avec la sémantique du prototype venue de sciences cognitives 1 . La question d’appartenance d’un objet à une catégorie ne s’y explique pas en termes de traits nécessaires et suffisants. La discrétisation catégorielle qui renvoie au thème de frontières entre des catégories ne peut pas être traitée indépendamment de la question de leur organisation interne qui se fait autour d’une instance typique de la catégorie, qu’il soit un exemplaire prototypique (dimension extensionnelle du prototype) ou un faisceau de traits saillants (sa dimension intensionnelle). Elle est expérimentalement reconnue en premier et assimilée dans les premiers moments d’apprentissage de la langue maternelle par l’enfant. A partir de ce représentant se disposent les objets de la catégorie concernée sur l’échelle graduelle de « ressemblance » qui est munie de trois niveaux d’organisation hiérarchique : niveau subordonné, niveau basique et niveau super-ordonné. L’organisation graduelle d’une classe des figures du monde fait échos, en sémantique linguistique, à trois types de catégories sémiques : spécifique, générique et classématique. La sémantique du prototype s’occupe donc dans l’essentiel de la question qui est de savoir comment s’organisent de façon graduelle et intracatégorielle des objets de perception dont l’appartenance à la même catégorie est garantie par la reconnaissance d’un locus de figures saillantes sous-jacentes à leur champ conceptuel. C’est dans un deuxième temps qu’une autre question de frontières entre des catégories est posée sans qu’on ne la résolve.

Il en résulte que la sémantique prototypique n’est pas intéressée par le fait qu’il peut y avoir plusieurs catégories qui sont en co-présence, co-extensibles à une aire conceptuelle plus étendue. En effet, le concept de prototype est souvent mis en parallèle avec un autre mode de catégorisation, nommé parfois ressemblance de famille. Il a été emprunté à la philosophie du langage de Wittgenstein qui conçoit l’acte d’énonciation comme jeux de langage. Avec le concept de ressemblance de famille on n’a plus affaire à des traits centraux d’une catégorie donnée. L’attention se porte davantage sur des figures intermédiaires qui assurent l’homogénéisation d’un certain nombre de catégories. Il s’agit donc des propriétés inter-catégorielles qui permettent de passer d’une catégorie à une autre au sein d’un espace homotope qui les contrôle. L’intérêt du concept de ressemblance de famille, c’est donc que l’on peut apporter remède à la sémantique du prototype préoccupée par la question de savoir de quelle manière le mode d’organisation interne et graduelle s’établit dans une classe d’objets à partir de sa figure centrale. Car il attire l’attention désormais sur l’importance du paradigme qui l’accueille, ce qui revient à dire qu’il va falloir désormais prendre en compte son contexte perceptif, fonds figural qui lui donne forme en rapport avec d’autres catégories du même espace homotope.

Notes
1.

Comme on peut s’attendre à des recherches en sémantique cognitive, il s’agit essentiellement de perception conceptuelle d’un objet du monde. Le représentant d’une classe d’objets ne permet pas tant d’organiser la signification d’un lexème que de décider de l’adéquation de désignation d’un objet en fonction de son appartenance à la classe d’objets extensionnelle dont il est le stéréotype. La typicité d’une catégorie réside en mise à jour d’un échantillon montrant son dispositif en figures du monde de grande efficacité socio-culturelle. Ainsi la sémantique du prototype est-elle en relation étroite avec la problématique de référence du signe linguistique. Elle fournit des résultats satisfaisants sur le fonctionnement cognitif du sujet de parole pour expliquer comment il construit et reconnaît un objet du monde à travers l’imagerie mentale déclenchée par la sélection lexicologique. En revanche, elle donne peu de choses pour comprendre la structure sémantique de sa langue naturelle elle-même, système sémiotique qui lui permet de représenter conventionnellement les stimuli (extéroceptifs et extéroceptifs) qu’il perçoit.