3-2. « Biotope » sémantique comme quatrième dimension de la valence

La mise en confrontation des deux modes d’organisations des figures du monde, prototypique et de ressemblance de famille, nous conduit, d’un point de vue socio-sémiotique, à une conceptualisation topologique du champ sémantique telle que la signification d’une quelconque unité linguistique devra être intégrée dans le cadre des programmes d’actions qu’on accomplit au cours d’une interaction. Du coup, on sera en présence de la problématique des genres de discours liée à la spécificité des sphères d’activités socio-culturelles d’une communauté linguistique. En définissant le paradigme sémantique comme un espace homotope, nous faisons allusion, dans une perspective interprétative, au mécanisme d’afférence qui se met en place dans la construction de divers rapports, soit référentiel, soit herméneutique : en actualisant des sèmes afférents, le sens en contexte renvoie, au palier référentiel du texte, au domaine de pratiques sociales correspondant. Le mécanisme d’afférence sert aussi à rendre compte de rapports herméneutiques qui s’établissent entre le local et le global textuels.

Les parties constitutives de l’ensemble textuel se relient dans des proportions qui restent à déterminer sous le même contrôle catastrophique ou hypoiconique (Peirce). Le centre d’organisation en procède à la sélection de traits pertinents à une couche de saisie du sens dans laquelle les parties qui le composent se disposent sur le mode de ressemblance de famille. La structure homologique qui en dérive est donc caractéristique de la manière dont le sujet de praxis énonciative incarne l’instance de sélection en organisant en discours les virtualités sémantiques des figures du monde convoquées sur fond d’un espace de référence. En ce sens, le contexte de l’ensemble signifiant renvoie pour nous à un niveau d’opérativité qui n’a pas à faire tant avec la situation de communication. Il est avant tout d’ordre de la multimodalité perceptivo-sémiotique. 1 La dimension hypoiconique d’un texte représentera donc le mode d’organisation du type de ressemblance de famille dans la mesure où elle préside en homologation (ou rapport semi-symbolique) entre les éléments invariants relevant de différents systèmes du même ensemble signifiant. Elle fait appel donc à de diverses modalités perceptives, d’une part et de l’autre, au domaine d’activités humaines correspondant, y compris les compétences interprétatives 2 requises des sujets qui y participent.

A la base de ce qui vient d’être dit et dans le même ordre d’idées qui nous retient dans ce chapitre, il sera tentant de considérer le phénomène de co-extensité des traits inter-catégoriels qui régissent l’organisation multimodale de l’ensemble signifiant comme constituant la quatrième dimension de la notion de valence. Comme on l’a vu, elle n’est pas prise en considération par les auteurs de la sémiotique tensive. Envisagée de la sorte, la valence se rapproche de la notion écologique de biotope. 3 En sémiotique des cultures, on retrouve la même famille conceptuelle chez J. Lotman qui élabore sa propre théorie des cultures à partir du concept de sémiosphère basé sur la présomption sémiotique d’un espace culturel. En la reformulant ainsi pour notre propos, nous dirons que la valence est de nature à montrer comment se forme l’espace homotope 1 d’une culture donnée, dans les limites duquel sont appelés à colocaliser un certain nombre de systèmes de signes multimodaux.

Notes
1.

Pour le modèle du signe multimodal, on se réfère à des auteurs comme F. Rastier (1991), P. Vaillant (1999).

2.

Concernant la formalisation des données contextuelles qui font partie de la compétence interprétative du lecteur, U. Eco (1985, 1988) donne une bonne présentation qu’il en fait à partir de deux modèles de rationalité, dictionnaire et encyclopédique.

3.

C’est Jean-Louis Calvet qui donne la définition de valence en écologie :

« On parle en écologie de « valence d’une espèce », c’est-à-dire de sa capacité à peupler un nombre plus ou moins grand de lieux, cette valence pouvant être basse ou élevée et variant sous l’effet de « facteurs limitants ». » (Pour une écologie des langues du monde, J. L Calvet, Librairie Plon, 1999, p. 35.)
1.

On laissera entendre que le concept d’espace homotope ne sera pas incompatible avec celui de chronotope que Bakthine a déjà proposé dans le cadre de sa sociologie poétique.