1-3. Méthode d’analyse intertextuelle

Avec La Potière jalouse, on verra les choses plus claires. En effet, on a affaire à une autre homologation semblable mais cette fois avec plus de précision. Elle se présente comme ceci 2  :

Fj (e) : Fp (f)  Fj (f) : Fe-1 (p).

(J : “jalousie”, p : “poterie”, e : “Engoulevent”, f :”femme”)

Cette équation se lit de la façon suivante : « la fonction ‘jalousie’ de l’Engoulevent est à la fonction ‘potière’ de la femme ce que la fonction ‘jalousie’ de la femme est à la fonction ‘Engoulevent inversé’ de la potière. » (ibid., p. 79.)

Il y a deux figures actorielles, Engoulevent et femme, qui apparaissent dans une version du mythe d’un côté, et de l’autre deux configurations thématiques correspondantes dans lesquelles elles occupent la place de pivots narratifs montrant deux foyers du récit mythique. En passant de cette « histoire » à une autre, on constate d’abord trois types de transformation : permutation du terme /engoulevent/ par celui /femme/ pour la même fonction narrative « jalousie », symétrie orientée entre deux termes contraires (/engoulevent/ remplacé et son antonyme remplaçant) et inversion entre la fonction « poterie » et la valeur donnée à l’aboutissant de la symétrie orientée. Le devenir d’identité modale des « acteurs » qui se mettent en place, et du coup de l’instance de délégation qui se signifie par ce jeu actoriel dépend du processus de transformation par lequel se dessine le réseau de « rosaces ». Lévi-Strauss explique la transformation identitaire de l’instance qui en est responsable :

Les données ethnologiques 1 montrent que l’image inversée de la figure /engoulevent/ existe bel et bien sous forme du personnage de « Fournier » dans les versions d’autres populations qui font partie du même groupe de transformation. Il s’agit d’un genre d’oiseaux dont les moeurs sont diamétralement opposées à celles de l’Engoulevent : /activité diurne/, /joyeux/, /construction de nids/, etc.

Quant au rapport des deux fonctions « jalousie » et « poterie » et à leur transformation, on trouve des figures animales (paresseux, singe hurleur et grenouille) qui les portent dans d’autres groupes de transformation ainsi que celles plus abstraites comme la tête changée en lune, le corps en météore, etc.

D’où toute une série de tabous et de ritualisation qui se réalisent autour des techniques de fabrication et de cuisson. La configuration thématique « jalousie » qui évoque le principe d’exclusion à oeuvre dans cette pratique rituelle en est l’interprétant qui renvoie ainsi à ce domaine de pratiques humaines. Et par analogie, la femme devient une figure actorielle qui déploie le processus de médiation :

Il faut donc interpréter les figures ci-dessus, tantôt iconiques, tantôt thématiques, en les situant par rapport à ces deux schèmes de transformations contenant/contenu dont la potière jalouse joue le rôle de terme médiateur.

Notes
2.
« Le mythe apparaît comme un système d’équations où les symboles, jamais nettement aperçus, sont approchés au moyen de valeurs concrètes choisies pour donner l’illusion que les équations sous-jacentes sont solubles. » (La Potière jalouse, Cl. Lévi-Strauss, Paris, Plon, 1985, p. 228.)
1.

Dans l’article, La structure et la forme, Cl. Lévi-Strauss parle de la différence fondamentale qu’il y a entre formalisme et structuralisme, ce dernier donnant l’importance à la « sémiotique du monde naturel », pertinente à la narration mythique. M. Hénaff le commente :

« Le propre de l’approche formaliste, c’est de rendre le contenu insignifiant. Le propre de l’analyse structurale au contraire, c’est de tenir le plus grand compte du contexte, des détails matériels propres à chaque culture (...). Bref l’analyse structurale, loin d’ignorer le contenu, démontre au contraire que la structure doit être comprise comme une mise en relation de la récurrence de traits pertinents qui sont autant de contenus particuliers. » (Claude Lévi-Strauss et l’anthropologie structurale, p. 226.)