2-4. Interférence des modalités présentationnelle et représentationnelle

Quant à la troisième possibilité de répondre à la question de savoir comment nous nous représentons cognitivement la connaissance de notre entour, on pourra rapporter le processus de top-down and bottom-up. Il implique l’existence de double cheminement croisé des savoirs stables et des modalités perceptives directes. Les deux types de modalités participent tous deux en proportion inégale à la construction du sens de ce qui est perçu. Dans cette perspective, l’activité perceptive peut être considérée comme une suite de traitements de l’information sensori-motrice qui dérive de mise en équivalences formelles entre, d’un côté la modalité /apparaître/ de l’objet perçu (modes de présentation de l’entour écologique), et de l’autre côté, la modalité épistémologique du sujet percevant (modes de présence du corps propre). La « perception directe » rejoint ainsi la représentation cognitive dans l’opération qui conduit à la « similarité assignée » (Jakobson) ou « similitudes fonctionnelles et structurales » (Denis) entre l’image mentale et le percept de l’objet.

Le bottom-up est l’ensemble d’étapes durant lequel le sujet est comme un organe étroitement déterminé par les propriétés sensorielles de la masse phorique qu’il perçoit. Cette matière qu’on suppose amorphe en raison de son inaccessibilité donnera naissance aux premières articulations « modales » du concept indéfinissable d’objet. Elle ne sera rendue manipulable que quand la masse thymique apparaîtra dans ses modalités de présentation de l’objet perçu. La « bonne forme » qui s’en dégage à titre de valences se pose donc comme une des préconditions à des jeux véridictoires jouant sur la dialectique entre Etre vs Paraître.

Les dernières étapes du double cheminement de construction du sens, appelées top-down, sont celles où interviennent le savoir du sujet et sa mémoire représentables en propriétés prototypiques quand il s’agit d’identifier l’objet présenté lors d’une tâche de reconnaissance. A ce moment, la modalité perceptive de l’objet sera ainsi confrontée à la connaissance cognitive plus stable dont le sujet dispose à l’égard de sa forme encyclopédique. Les effets facilitateurs ou inhibiteurs qui se produisent pour la tâche d’identification sont fonction de ce qu’on sait déjà ou croit savoir en termes de schéma-image de l’objet à identifier.

C’est en résonance de ces deux parcours d’exploitation que les divers types de figures se trouvent, tantôt réalisées en se propageant sur le fond d’une même configuration isotope, tantôt inhibées dans un état potentiel mais en attente d’actualisation qui peut se faire lorsque les éléments d’ordre afférent favorisent leur intervention. Le sujet qui devient ainsi ce lieu de résonance sera à même d’adapter, d’ajuster ses comportements à des situations de diverses natures : interprétative (instauration de l’objet textuel en discours), « passionnelle » (régulation proprioceptive du dedans et du dehors), pratique (remplissement attendu des rôles à jouer), mythique (participation emphathique au processus de ritualisation institutionnellement codée). Ce qui résulte de ces efforts d’appropriation, soit transitive, soit intransitive du monde d’objets dit ontologique contribue en conséquence à former l’entour dans lequel se déroule la logique de l’agir entre les acteurs sociaux lors d’échange des objets-messages. Etant situé de la sorte dans son entour, le sujet se présente comme une instance de sélection : lors d’un acte d’interprétation textuelle, il participe de diverses façons (interne et/ou externe) au processus d’activation au cours duquel seront pris en compte tels sèmes afférents plutôt que d’autres des lexèmes utilisés dans le contexte global de la mise en discours. Le mécanisme d’afférence qui se met en place entraînera comme corrélat psychologique une image mentale qui s’apparente à son tour au percept de l’objet pris pour son objet de discours. La notion d’impression référentielle est d’ailleurs spécifiée par F. Rastier comme mise en appariement des entités conceptuelle (représentation mentale) et perceptive (percept de l’objet). D’où l’ordre orienté entre le signifié linguistique, le concept psychologique et la modalité perceptive objectale. C’est ce qui s’impliquerait dans l’opération de perception sémantique, car elle repose sur l’hypothèse d’unité fondamentale entre le perceptif et le sémantique. C’est là où intervient sa théorie de simulacres multimodaux. F. Rastier propose ainsi de définir la représentation mentale comme étant constituée par de différentes modalités perceptives, sonore, visuelle, auditives, etc. Ces percepts sont ainsi nommés simulacres multimodaux, car il s’agit de modalités culturelles (mises en jeu par le processus descendant) autant que de modalités sensorielles (input pour le processus montant).