3-1. Semeiotics

Peirce conçoit le processus d’interprétation dans le cadre plus général de sa théorie de la connaissance qui comporte en outre une logique relationnelle, semeiotic (hypothèse, déduction et induction : raisonnement d’inférence de tout ordre) et une phénoménologie (phanéroscopie : étude d’apparaître de l’objet perçu) et même une cosmologie (L’univers tout entier est pour Peirce un immense Representamen). Ainsi le signe devient-il un lieu de foisonnement, d’expérimentation de deux types de connexion, triadique et trichotomique. La triade a pour éléments trois pôles du signe : representamen, objet et interprétant. Ce sont trois termes relationnels qui entrent de façon récursive dans la durée d’interprétance théoriquement illimitée. Ils constituent le penchant sémiotique proprement dit du système de pensée de Peirce. La trichotomie, quant à elle, renvoie à un autre aspect phénoménologique. Elle consiste en trois modes d’être de la conscience : priméité (pure possibilité qualitative), secondéité (effet immédiat de rencontre entre deux forces antagonistes) et tiércéité (effet stabilisant de généralité, de nécessité). En combinant tous les éléments qui tissent ainsi l’ensemble de réseaux sémio-physico-phénoménologiques, on arrivera arithmétiquement au nombre de classes de signes qui atteint à peu près soixante mille (le chiffre exact est 59049) et dont les plus connues sont l’icône, l’indice et le symbole. Etant donné la démarche ordinale 1 qui sous-tend le tableau de signes, il sera plus juste de dire : icône, indice iconique et symbole indiciaire iconique. Ce qui s’ensuit comme conséquence théorique, c’est de postuler que le semeiotic qui est synonyme de logique pour Peirce s’ancre somme toute dans le mode d’être premier du phénomène. Ainsi on le comprendra mieux quand Peirce dit que l’hypothèse (ou abduction) entraîne parallèlement un effet émotionnel, l’induction une habitude, la déduction une volition de la pensée. 2 Le ground du signe semble caractéristique de la manière dont l’objet apparaît à l’esprit de celui qui l’appréhende à la base d’informations collatérales (totalité de savoirs véhiculés par des signes antérieurs et acquis par expérience par une communauté d’esprits socio-historiquement datée). L’icônicité primaire 3 de toute sémiosis se pose donc comme un des principaux axiomes de la sémiotique peircienne. Comme telle, elle s’oppose ainsi au principe de l’arbitraire du signe cher au sémioticien d’Europe. A son propos, on a déjà vu que Greimas et Courtés rejettent la notion d’icônicité au profit de celle d’intersémioticité.

Notes
1.
« Eliseo Veron a bien mis en évidence le fait que la sémiotique peircéenne n’est pas taxinomique, mais bien analytique, et ce, malgré les effets de sens que pourrait entraîner le fameux tableau des neuf cases ; les positions, propose-t-il, n’y définissent pas des types de signes, mais bien des modes de fonctionnement. » (J. Fisette, 1996, p. 26.)
2.
« Un troisième avantage de cette distinction (déduction, induction et hypothèse) tient à ce qu’elle est associée à des aspects psychologiques ou plutôt physiologiques dans le mode d’appréhension des faits. » (ibid., p. 249.)
3.
« La vérité cependant paraît être que tout raisonnement déductif, même le simple syllogisme, implique un élément d’observation. La déduction consiste à construire une icône ou un diagramme dont les relations des parties doivent présenter une complète analogie avec celles des parties de l’objet du raisonnement, de l’expérimentation sur cette image dans l’imagination et de l’observation du résultat de façon à découvrir des relations qu’on n’avait pas remarquées et qui étaient cachées les parties. » (Peirce cité in L’Action du signe, Enrico Carontini, LOUVAIN-LA-NEUVE, 1982, p. 16.)