3-2. Composantes du signe triadique

Le signe peircien est généralement dit triadique en ce sens qu’il est composé de trois éléments constants : representamen, objet et interprétant. Mais si on regarde de plus près la définition minimale qu’il en donne : « le signe est quelque chose qui tient lieu pour quelqu’un de quelque chose sous quelque rapport ou à quelque titre », on en trouvera plus.

Il y en a six pour U. Eco 1  : fondement, signifié, objet immédiat, interprétant, objet dynamique et representamen, les quatre premiers étant fonctionnellement équivalents. Il existe donc pour lui une équivalence fonctionnelle qui régit le plan de « contenus » du signe, ce qui peut vouloir dire qu’il s’agit de question de points de vue à partir desquels tel ou tel aspect de la matière à signifier est rendu pertinent. Ce qui lui permet de proposer la définition du signe qui, on l’a vu, tient compte, d’une part des trois niveaux du signe hjelmslevien : forme, substance et matière, et du fonctionnement d’interprétant, d’autre part.

De son côté, J. Fontanille en réduit à cinq en faisant abstraction de signifié absent chez Peirce. Il attire l’attention ensuite sur le double mouvement d’interprétance (perception et signification) allant entre le representamen conçu comme quasi-signe 2 et le signe comme action 3 , avancée sémiosique :

Le rapport de la perception et de la signification (« guidage du flux d’attention » existerait en termes proprement peirciens à l’intérieur du signe sous forme d’une relation triadique qui consiste à relier trois constituants : fondement, objet immédiat et interprétant immédiat. Cependant J. Fontanille le formule sous la forme phénoménologique de double mouvement de la visée et de la saisie :

D’où le départage qu’il fait entre deux domaines sensible et intelligible : le corps porteur d’émotions (côté de la saisie) et le système de valeurs (côté de la visée), le discours en étant le lieu de déploiement. Par la suite, on verra comment Peirce lui-même les articule en divisant le mode de fonctionnement de l’interprétant. On notera en passant que le rapport de la signification et de la perception (double mouvement de la visée et de la saisie) est susceptible, du point de vue cognitiviste, de traitement du processus de top-down and bottom-up. A ce propos on sait que Peirce a contribué au développement de la psychologie cognitive outre-atlantique.

Voyons maintenant une autre formulation que Peirce fait de la définition du signe et qui témoigne davantage de sa nature dynamique :

Dans cette perspective, la structure du signe devient récursive dans le processus dynamique d’interprétance en principe à l’infini bien qu’il ne le soit pas de fait. Il n’y a de signes proprement dits que triadiques et la triade du signe n’a de sens que s’il fait avancer le mouvement de savoir à propos de l’objet de départ qui en rend possible l’identification alors qu’elle le détermine en le représentant. Cette avancée sémiosique doit être canalisée par le troisième terme, l’interprétant qui ne peut que suggérer son objet dynamique en le démultipliant en autant d’objets localement focalisés qu’il y a le nombre de fois de récursivité. Est premier tout ce qui communique de quelle manière que ce soit quelque chose autre que lui-même à propos du second, le rapport d’interprétation entre representamen et objet étant assuré par l’existence d’un troisième. C’est pour cela que l’on comprend mieux l’objet dynamique dans le cadre global de la communication. Entre les objets ainsi démultipliés et le representamen initial (ou plus précisément son fondement) s’établissent les différents rapports, iconique (de continuité), indiciaire (de contiguïté) et symbolique (de nécessité consensuelle), l’interprétant ayant pour fonction de rendre compte de ces rapports entre eux. On voit bien que l’interprétant est le terme médiateur entre les éléments qui constituent la triade du signe : il relève par nature de la tiércéité. Cela nous conduit à trois cases du fameux tableau de classification de signes : rhème, dicisigne et argument. Comme les deux autres constituantes du signe triadique, l’interprétant se divise ainsi en référence à trois catégories générales du phanéron (modes d’être de la pensée) : la triade sémiotique rejoint la trichotomie phénoménologique.

Notes
1.

J. Fontanille en donne une explication suivante : « (1) le fondement procure d’un côté un point de vue sur l’ « objet dynamique », mais délimite de l’autre le contenu d’un signifié ; (2) l’objet immédiat est d’un côté sélectionné dans l’ « objet dynamique » par le « fondement », et interprété de l’autre par l’ « interprétant » ; (3) l’ « objet dynamique » motive le choix du representamen, qui, lui-même associé à l’interprétant, permet d’en dégager le signifié. » (Sémiotique du discours, p. 30.)

2.

Le representamen ne s’identifie pas pour Peirce au signe : « Le representamen sur lequel se construit un signe existe à l’intérieur de celui-ci sous la triple modalité du fondement, de l’objet immédiat et de l’interprétant immédiat alors que les autres constituants – interprétant dynamique, objet dynamique et interprétant final – amorcent la naissance du nouveau representamen à surgir. En dehors de tout nouveau mouvement de sémiose (...), le representamen resterait, je crois, un « quasi-signe ». » (Pour une pragmatique de la signification, p. 65.)

3.

Peirce conçoit la sémiotique d’ailleurs dans le cadre plus général d’une théorie de l’action, ce qui est conforme à sa philosophie pragmatiste :

« Par « semiosis », j’entends une action ou influence qui est (ou implique) la coopération de trois sujets tels qu’un signe, son objet et son interprétant, cette influence tri-relative n’étant en aucune façon réductible à des actions entre paires. (...) ma définition confère à tout ce qui agit de cette manière le titre de signe. » (L’Action du signe I, p. 132.)