3-4. Mise en discours et champ polyphonique

Compte tenu des trois dimensions du mot en contexte qui viennent d’être dites, on comprendra mieux que Bakthine définit le concept d’énoncé comme l’unité réelle de genres de discours qui se délimite sur la chaîne d’échange verbale. Cette chaîne se compose d’énoncés assumés par d’autres sujets. Elle est de niveau d’intégration supérieur à leur situation de communication immédiate. Elle se rapporte à un champ polyphonique dont les frontières sont toujours extensibles. Dans ce champ de voix il ne s’agit pas de transmettre un signal-message d’une source à une cible à travers le canal choisi. Le destinataire n’y est pas un simple récepteur du message transmis mais un actant-sujet actif qui, après avoir jaugé l’objet-message sur sa propre axiologie, réagit de manière imprévisible à sa source-destinataire. Ainsi conçue, l’unité de genres du discours relèvera d’opérations de mise en discours prise dans le sens de praxis énonciative. C’est une notion située en quelque sorte à mi-chemin entre langue et parole :

L’énoncé permet de les réunir en acte de discours notamment à travers la « tonalité » qui renvoie à ses deux aspects : spécificité rhétorico-thématique du genre de discours auquel il appartient et valeur émotionnelle de l’acte d’énonciation. Le système de signes socialement normés n’existe que sous la forme de genres de discours qui ont chacun le répertoire d’énoncés relativement stabilisés. En revanche, la « parole » se laisse entrevoir par l’usage que l’on en fait dans une interaction spécifique liée au domaine de pratiques sociales. Elle n’est pas la singularité irréductible de l’expressivité individuelle. Elle se distribue typologiquement en genres de discours dont chacun a ses règles de formation discursive. C’est en entrant dans un domaine d’activités sociales que le sujet active les énoncés disponibles au genre de discours correspondant. De la sorte, il met en branle le système de signes arbitraires par la praxis énonciative.

Chaque genre de discours est ainsi lié à un domaine d’activités humaines dans la mesure où ce dernier a un ensemble de formes d’énoncés relativement stables et reproductibles par la compétence linguistique de quiconque y accomplit de façon régulière des performances requises. Du coup, la configuration de compétences du sujet d’énonciation dépend aussi de mémoire et de récupération de schémas discursifs qu’il convoque dans le cadre d’une activité socio-culturelle. On se rendra compte à quel point la socio-poétique de Bakthine rejoint la praxématique par le truchement de la question d’énonciation liée à la problématique de genres du discours. L’action que l’on fait dans un domaine de pratiques sociales est fonction de l’habilité avec laquelle il récupère, manipule le répertoire de formules d’énonciation qui lui sont propres.