3-5. Tonalité émotionnelle de l’acte d’énonciation

Le fait que l’acte d’énonciation serve à convoquer des configurations discursives déposées dans la mémoire collective ne doit pas pour autant masquer l’aspect « passionnel » de son sujet. En les sélectionnant et les réorganisant dans son énoncé-discours, il assume une position dans le champ dialogique. En amont de l’acte d’énonciation, il y aurait, non pas un système de contraintes sémiotiques, mais un individu présent au monde de valeurs de l’autrui. Le monde d’objets axiologiquement investis se présente dans sa conscience, selon Bakthine, comme une catégorie perceptive première. Il fera l’objet principal de son discours. Il fait face également au divers sensible esthétiquement inorganisé et donc inaccessible à soi ainsi qu’à l’autre. L’ « expérience vivante » qu’il éprouve devra être mise en forme d’intelligibilité par son acte d’énonciation. Dans la perspective socio-poétique, le lieu d’énonciation ne joue pas seulement le rôle d’instance de médiation entre différents niveaux d’organisation du texte à l’abris du contexte socio-culturel qui le contraigne par présence de ses normes elles-mêmes. L’acte d’énonciation est un acte parmi d’autres qui est motivé par l’expérience éthico-cognitive de son sujet, ce sujet étant impliqué dans le processus de couplage structural qui le lie, soit à son double d’altérité, soit à l’entour à climat spécifique à la culture où il se baigne. La morpho-dynamique du milieu qui l’environne est un espace de référence autant extérieur qu’intrinsèque à l’univers cognitif du sujet d’énonciation et qui en oriente la cohérence textuelle dans leur double rapport de la visée et de la saisie. La perception d’un objet du monde est le résultat d’investissement d’un système de valeurs qui sont significatives aux membres d’une culture et cet univers culturel est aussi réel et bon à maintenir que d’autres sur la dimension chronotope propre à lui. La perception du monde d’objets, l’axiologie d’autrui et l’expérience spatio-temporelle du couplage structural, tous ces éléments se révèlent saillantes en ce sens qu’elles forment autant de couches de signifiance sur le plan de contenu de l’énoncé-discours qui présuppose un acte d’énonciation singulier. Du « guidage du flux perceptif », le sujet d’énonciation tirera « la matière » de ce qui deviendra l’objet de son discours, lequel objet doit être déterminé par sa visée discursive qui le manifeste sous un certain aspect dans un support matériel choisi. La visée du sujet d’énonciation doit pouvoir être qualitativement autre que ce qui l’affecte dans son statut d’être social qu’il était avant de se constituer comme tel. Il faut qu’elle soit matériellement modelée dans un certain artefact signifiant pour que le sujet qui l’assume puisse se positionner axiologiquement sur l’arène polyphonique. L’expérience spatio-temporelle que le sujet d’énonciation fait de la sémiosphère où il s’immerge constitue ainsi le soubassement phorique de son discours et cette strate phéno-physique donne lieu à ses configurations thématiques se déployant en parcours de figures dans l’espace interne du texte. En même temps le repérage du niveau thématique du texte informe sur les règles de formation du genre de discours dont il relève, d’une part et sur le domaine de pratiques sociales à quoi il renvoie, d’autre part. C’est ainsi que l’ « image du monde » se transformera en visée discursive. Cette dernière n’a pas pour cible principale de construire un monde monologique de la source-prime actant. Il lui sert de moyen pour se positionner dans le champ dialogique de la « non-personne » qui s’y exprime en de multiples voix polyphoniques.