3-1. Chaman comme centre organisateur de la mise en scène rituelle

Pour rendre compte du système de pensée chamanique, il nous semble nécessaire de savoir mesurer le rôle de pivot structural que le chaman joue dans un événement chamanique. En effet, il est l’expert de techniques de transe indispensables à la mise en place de la séance chamanique. Il le fait grâce à son savoir qui rend possibles des actes magico-rituels qui y sont mobilisés. Le chaman est reconnu pour l’avoir acquis en faisant l’objet du rite d’initiation. Ce dernier consiste à lui conférer en public le statut de médium devant la confrérie de chamans. Le rite initiatique présuppose en Chamanisme un phénomène pathogène qu’on appelle « maladie chamanique ». Avant qu’il soit consacré dans sa fonction sacerdotale, le chaman-néophyte est censé souffrir de troubles psycho-somatiques dans une période plus ou moins prolongée. Ce n’est pas un dysfonctionnement organique curable par la médecine. Il s’agit d’expériences religieuses semblables à celle de la mort proche et qui passent par le corps du chaman. A l’origine de la souffrance qui l’affecte, il y a, dit-on, un esprit qui l’a choisi. De manière générale, ce n’est pas le libre arbitre du chaman qui est la cause de son mode d’être. Mais la volonté de l’être spirituel se montre en jetant son dévolu sur lui. La preuve en est qu’il tombe malade. Pour ce qui concerne la maladie en question, il s’agit donc d’un symptôme dont le plan du contenu renvoie à la décision divine. Sur son plan d’expression, l’enveloppe corporelle du chaman qui fait l’objet d’épreuves de la maladie divine. Son corps qui est le lieu de manifestation divine se voit imaginairement déchiqueté en morceaux, dévoré par l’esprit qui le possède avant d’être restitué. L’expérience qu’il fait de l’incorporation et de la réorganisation corporelle est donc considérée pour la culture concernée comme un signe-marque qui annonce l’avènement du renouveau spirituel de celui qui en souffre. L’affection maladive ira en s’intensifiant tant que le souffrant renoncera à sa vocation, c’est-à-dire qu’il ne reconnaîtra pas volontairement ou par ignorance la fonction sémiotique du langage divin qui se manifeste ainsi dans le corps du chaman-néophyte. Il faut qu’il interprète comme telle pour que l’ « élu » s’en sorte renouvelé dans ses modes d’être au monde. L’apparition d’un signe symptomatique et sa reconnaissance sont donc nécessaires à ce que le chaman-souffrant renaisse en homme sacré à travers le rite d’initiation.

A partir de la description d’ordre ethnologique qui vient d’être faite de la personnalité du chaman, on essayera de montrer le Chamanisme en général en faisant appel à la grammaire narrative. Le rite d’initiation chamanique correspondra au moment de l’épreuve qualifiante, acquisition de compétence dont le programme de base est mis en place par le Destinateur-esprit preneur. A l’issue de cet agir manipulateur sera soumise la configuration « passionnelle » du chaman. La charge modale /ne pas vouloir ne pas être/ trouve sa source dans le sentiment religieux qu’il a fait de la maladie chamanique. Et elle donne forme à l’imaginaire passionnel qu’il se figure à l’égard de l’univers d’esprits. Le « simulacre existentiel » du chaman qui est lié à sa modalisation passionnelle résulte donc du processus d’internalisation de ce qu’il a éprouvé lors de l’épreuve qualifiante de dimension pathogène. Le parcours modal, voire passionnel se dessine ainsi dans le corps du chaman qui en est le site. Du point de vue ethnographique, l’achèvement de ce parcours se traduit par le rite d’initiation qui en implique le transfert identitaire du profane au sacré. D’où une autre caractéristique ésotérique du Chamanisme. Le simulacre que le chaman se représente de l’univers spirituel se révèle donc préalable à l’investissement sacerdotal du chaman néophyte.

A la base de la logique de présupposition à rebours, il sera possible d’en déduire une suite d’actes qui rendrait compte du sentir religieux éprouvé par chaman dans son parcours de constitution modale :

performance extatique transformation initiatique passion pathogène.

C’est ainsi que nous proposons de saisir la teneur du rôle-pivot qu’il assume dans la mise en scène du langage rituel.