3-2. Activités chamaniques comme « Don »

Dans la perspective de la socio-anthropologie de M. Mauss, la mise en discours du langage rituel peut être considérée comme ayant pour visée de contracter entre deux mondes hétérogènes un compromis qui est de l’ordre de « don ». Le principe de réciprocité de toute communication est tel que l’offre de l’un doit être suivie d’un autre acte de donation, « contre-don », assumé par celui qui en est bénéficiaire. La valeur qu’on investit dans une activité chamanique quelconque aura tendance à être détachable, décrochable de différents usages (pratique ou esthétique ou d’autres) qui peuvent être faits du langage du chaman. Dès lors, la sphère de pratiques socio-culturelles se transforme en un lieu d’investissement mythique pour les sujets qui s’y projettent. Ainsi l’objet-valeur qu’ils y investissent devient-il commensurable et donc équivalent à d’autres artefacts à l’oeuvre dans la même structure d’échange. En mettant en branle le langage rituel, le chaman attribue un don à des esprits qui se voient contraints à lui répondre de quelque manière que ce soit. Etant donné le statut de destinataires du don du chaman, on peut s’attendre à ce que les esprits lui attribuent un contre-don. La valeur de don serait autrement vouée à l’échec par la transgression du principe de réciprocité lui-même. On voit donc une double communication qui met en scène deux programmes narratifs élémentaires de natures transitive et participative : la conjonction du sujet1 (bénéficiaire du rituel chamanique) avec un objet-valeur de type pragmatique est réalisée par l’acte de renonciation de l’autre sujet2 (donateur du rituel) qui le lui attribue sous la forme de don. Simultanément, le sujet2 se trouve conjoint avec un autre objet-valeur de type cognitif ou thymique que le sujet1 lui attribue à son tour en guise de contre-don, sans s’en priver pour autant. C’est ainsi que l’équilibre de l’échange sera rétabli entre les sujets qui participent au même univers axiologique.

En termes de valences, il nous sera possible d’aborder le rituel chamanique comme acte de don en nous penchant sur le soubassement fiduciaire de la structure d’échange généralisée où se met en jeu l’objet-valeur. La théorie anthropologique du phénomène de don sera ainsi rapprochée de la sémiotique tensive.