3-3. Fiducie chamanique

Le Chamanisme est une religion cosmique qui repose sur le contact entre l’homme et l’entité surnaturelle par la médiation du chaman conçu comme lieu d’exercice des techniques de transe. Il est tel grâce à son pouvoir magico-rituel, modalité /pouvoir-faire/ qui présuppose à son tour l’imaginaire passionnel qu’il projette lors d’un événement de rituel chamanique. A ce propos, on se réfère à une définition du Chamanisme qui est donnée par un spécialiste japonais en la matière :

Les actes magico-rituels dont le chaman est le centre organisateur donnent à voir la couche fiduciaire de la sphère sémiotique où elles prennent sens. La forme de croyance qui en est spécifique consiste en ce que deux termes de la catégorie fondamentale, Nature et Culture, sont fonction tous deux de ce qui découle de la mise en correspondance entre deux univers humain et spirituel, le chaman assumant le rôle de leur médiation. Il nous sera possible de spécifier le caractère ésotérique du Chamanisme en disant que le chaman déploie son savoir magico-rituel dans un domaine d’activités donné et que ce savoir repose sur le contact entre les actants collectifs participant à la structure d’échange de valeurs. Les actes qu’il accomplit pour une activité chamanique (y compris la récitation de mythes) servent de base à son langage rituel au moyen duquel il maintient le processus de couplage qui le lie à son entour dans un tissu intersémiotique à tradition orale. C’est un langage multimodal qui sollicite la perception synesthésique et qui n’est pas voué, loin de là, à la manifestation de pures subjectivités. L’objet-message qui s’y exprime est à négocier entre l’homme et l’esprit par le chaman.

Les actants-sujets s’engagent dans une telle structure d’échange de valeurs qu’il s’instaure entre eux un « contrat fiduciaire ». L’objet-valeur y circule à titre de vecteur du système axiologique de la communication, lequel système repose à son tour sur le jeu de valences, modalité /Apparaître/, qui renvoie à son aspect tensif de rapports d’intentionnalité entre eux et les figures du monde. Sur l’horizon d’attente qui est spécifique de la communauté de la croyance chamanique, surgissent les valences qui, en tant qu’ « ombres » de valeurs, se projettent dans des objets-figures du monde tels qu’ils sont perçus par le centre organisateur de l’espace structural d’échange des valeurs. La notion de valences apparaît comme la fiducie perceptive qui est régulatrice de la circulation d’objets-valeurs. Un lien fiduciaire qui lie le sujet à son entour en acte de perception s’avère nécessaire à ce qu’une valeur soit localisée par tâtonnement dans un artefact qui fait l’objet du jeu de valences qui la modulent sur les gradients d’intensité et d’extensité en profondeur tensive.

Pour ce qui concerne l’axiologie du Chamanisme en Corée, elle est souvent taxé d’être amorale parce que non-conforme à l’ordre établi. Rien de moins étonnant, si on tient compte du fait qu’il s’agit de la religion de la Nature. L’axiologie qu’elle prône est basée sur une forme de vie dont la modalité fiduciaire est de l’ordre « naturaliste ». Nous la nommons ainsi dans la mesure où le chaman prend le rôle de médiation lors de ses activités sur fond du couplage structural entre la zone identitaire des sujets de la croyance chamanique et la zone distale des esprits surnaturels. A l’instar du postulat de la sémiotique des passions, on pourra considérer le soubassement fiduciaire des actes magico-rituels du Chamanisme comme une des préconditions à la saisie du sens dont ils sont le support de manifestation. Ainsi interprété, l’acte de perception qu’implique son axiologie cosmique représente la manière dont le chaman qui n’en est que l’actant d’énonciateur entre en jeu de valences avec le système d’échange où elles se projettent comme ombres de valeurs. Compte tenu du caractère parapsychologique des techniques de transe dont il use, d’un côté et de la forme de croyance comme religion cosmique, d’autre côté, nous proposons de nommer le jeu de valences /Union/. En rapport avec le champ de présence, l’axiologie du Chamanisme se voit attribuer une fonction tensive qui rend compte comment ce jeu se module sur deux gradiences valencielles en profondeur tensive. Par projection valencielle, on a affaire à un autre niveau du sens qui est de l’ordre continu. Deux modes d’articulation scalaire, intéro-et extéroceptif, sont mis en corrélations valencielles par l’existence même du centre d’organisation de l’espace structural du rituel chamanique. Comme on l’a dit, le corps du chaman est le contenu local d’opérations de la double figurativité (manifestation de la volonté divine et exercice des techniques de transe). Nous l’identifierons au lieu originaire des actes d’énonciation qui prennent en charge la sphère sémiotique des pratiques socio-culturelles propres à la communauté chamanique. En ce sens, l’instance proprioceptive est le lieu où s’opère la mise en équivalence formelle des deux champs de distinctions du réel : la vision intérieure et « naturaliste » du chaman est à corréler avec la morphologie cosmique qu’il perçoit des figures du monde, le jeu de valences /union/ manifestant les opérateurs de la fonction tensive. Le corps propre du chaman est ainsi présent au coeur de la catégorisation de la tensivité phorique en la déictisant dans une certaine direction intentionnelle en termes de centre et d’horizons. En donnant sens au champ de forces indifférenciées, il se trouve sommé d’arrêter le « sentir » religieux dans une zone à contours imprécis quoique figée par la praxis énonciative. Cela n’empêche pas que la saisie impressive du « sentiment d’existence » se réapproprie de nouveau chaque fois qu’aura lieu un événement chamanique, token du système de pensée chamanique. Envisagée en rapports avec le champ de présence, l’activité chamanique consiste à introduire des catégorisations dans la morphologie de l’espace de référence à diverses strates d’organisation en donnant sens à la masse phorique. Elle est à son tour contrainte par la valeur directionnelle qui, sur fond de la dynamique de couplage structural socio-historique, met en structure noématique deux termes de l’acte de perception : protoactants - observateur et objet visé.

A propos du soubassement sensible de la fiducie chamanique, le jeu de valences /Union/ permet de rendre compte de la mise en harmonie Nature/Culture par le contact de l’homme avec le spirituel. Il montre comment le sujet tensif qui occupe le centre du champ de présence se trouve affecté dans ses états thymiques par ce qu’il vise dans ses activités socio-culturelles que sont le rituel chamanique. Les valences surgissent du « premier ébranlement du sens » survenu dans la tensivité phorique et apparaissent, lors d’une activité catégorielle, en négative d’objets-valeurs qui en émanent. A ce stade de sémio-genèse où se produit la scission originaire, la masse phorique à signifier se transforme en un champ de présence où l’expérience religieuse se distribue sur deux échelles valencielles qui sont mises en corrélation par la position implicite de l’observateur incarné dans le corps du sujet énonçant.