2. Plan de contenu de la séance chamanique

A la lumière de l’inventaire des figures du monde chamanique ci-dessus et qui sont autant d’attributs donnés à des entités spirituelles qui le peuplent extéroceptivement, on va s’intéresser dorénavant à la forme de contenu, « signifié » de la séance chamanique.

2-1. Démarches

Le procès qui l’implique sera articulé dans ses grandes lignes de force en termes de parcours. Cependant son mode d’articulation du continuum à signifier ne saura être considéré uniquement comme ayant pour site un lieu immanent de principes formels qui réside en combinatoire de figures-valeurs oppositionnelles et négatives toujours reproductibles. Pour aborder le plan de contenu de la séance chamanique, on se servira d’outils d’analyse qui viennent de deux sources : sémiotique narrativo-discursive et sémiotique tensive. Il y a aussi une phénoménologie du discours que nous prendrons comme cadre épistémologique de leur application. Cela rejoint notre parti pris pour la conception du Chamanisme comme le phénomène religieux. En parallèle, on s’interrogera ainsi sur ce qui surdétermine les figures constitutives du procès chamanique en soulignant leurs rapports à l’instance de production. Le dispositif formel où on les observe sera rapproché du champ de présence. Les valeurs négatives sont fonction de valences « positives » qui surgissent de l’acte de perception singulier impliquant un rapport d’intentionnalité entre le sujet et son entour. Ainsi se posera la problématique de la grandeur figurative. Dans son rapport phéno-physique au sujet de perception, la figure sera considérée comme ayant une fonction tensive, voire morpho-dynamique, qui montre son mode de présence. Il nous faudra tenir compte des définitions de la figure : figures comme valeurs positionnelles et figures comme médiation entre langage et perception. A travers la problématique de figurativité, nous essayerons donc de voir le plan de contenu de la séance chamanique non pas seulement dans la négativité (les rapports différentiels des figures) des éléments qui le composent mais aussi dans leur positivité (leurs rapports tensifs au centre organisateur). La visée qu’elle se manifeste par langage est, du point de vue de la phénoménologie discursive, en rapport noématique avec la morphologie du monde perçu par son sujet énonçant à travers les objets-figures, tantôt extéroceptifs, tantôt intéroceptifs. Les objets du monde se trouveront axiologiquement investis lors d’un acte de mise en discours où ils sont à saisir différentiellement en tant que catégories sémiques. Entre ces catégories, s’établissent différents rapports isotopes : propagation (implication) et dissociation (contrariété) sémiques, incompatibilité bi-(ou poly-)isotope (contradiction), indétermination sémique (sub-contrariété). Etant soumis à des classes sémantiques de diverses natures qui sont inhérentes au découpage du monde par langage, l’objet de perception se transforme en une figure du monde qui est susceptible d’un dispositif semi-symbolique avec d’autres figures en profondeur du discours. La constance perceptive qui le rend possible est ce qui assure, sous forme de différentes configurations isotopes, la permanence de l’intentionnalité discursive liée à l’acte de perception qui implique deux termes du double rapport de visée et saisie : le corps et son entour.

A partir du principe d’isomorphisme postulé entre deux plans du langage, il nous sera légitime de nous intéresser au centre d’organisation qui contrôle la mise en homogénéisation formelle entre le contenu noématique de l’acte perceptif, d’un côté et l’opération de sélection des classes sémantiques. C’est là où interviendra une théorie de l’action qui fait que le sens d’une unité sémiotique quelconque devra être localisé dans la sphère de pratiques socio-culturelles. Dans le cas qui nous occupe ici, l’acte d’énonciation, en l’occurrence la narration de mythes, n’a de sens que parce qu’il est assumé sur fond de la praxis humaine d’ordre rituel. C’est la praxis énonciative qui s’impose. Elle nous guidera donc pour la compréhension des concepts comme sujet, corps, etc. La présence, par exemple, serait un type de savoir pratique tel qu’il est déclenché par la sensori-motricité de l’organisme vivant qui se trouve impliqué dans la dynamique de couplage, soit avec ses congénères, soit avec l’environnement socio-culturel qui les entoure. La modalité de connaissance ne s’élabore pas indépendamment du corps qui lui donne consistance. Le monde d’objets-figures émerge avec lui qui l’enactive.

La méthode d’analyse enactionniste qui relève de l’approche phéno-physique du sens nous aide à comprendre le centre de contrôle de l’espace rituel du point de vue de la phénoménologie du discours. Si on emprunte la terminologie à J. C. Coquet, le prime actant est susceptible de bifurquer en deux formes identitaires : sujet et non-sujet. Le non-sujet est un point de repérage qui pose, sans intervention judicatrice, un acte de prédication du flux de perception qui affecte son corps propre dans le champ d’énergies indifférenciées. La morphologie qu’il y introduit en en assertant quelques faits contribuera à quantifier l’étendue d’objets et à moduler l’intensité émotionnelle qu’il en fait à son intérieur. L’organisation en profondeur tensive de la masse phorique qui en résulte serait l’affaire du non-sujet. L’assertion sans jugement qui en est le modèle de comportement fournira matière sensible à l’assomption qui revient à l’instance qui s’énonce en disant /Je/. Ainsi le prime actant se présentera-t-il, dans un autre registre proprement discursif, comme une instance d’assomption qui lui donne le statut de sujet. La structure intersubjective de l’acte d’énonciation serait due à l’intervention du sujet. Le contenu noématique de l’acte d’assertion posé par le non-sujet fera l’objet d’une attitude propositionnelle que le sujet exprime modalement dans son rapport à son /Tu/. L’objet transitionnel qui entre en rapport tensif avec son actant positionnel-sujet percevant deviendra alors l’objet-valeur qui fait l’enjeu d’interaction entre les actants transformationnels sur le lieu de médiation sémio-narratif.

Nous venons d’expliquer comment traiter les figures déduites de l’analyse des plans d’expression et référentiel de la séance chamanique. En tant que figures de contenu, elles nous serviront pour l’investigation de son plan de contenu. Ce dernier sera découpé dans ses grandes lignes conformément au critère aspectuel qui nous a permis de segmenter la durée du procès rituel en trois phases, inchoative (Chungsin), durative (Osin) et terminative (Songsin). Ce qui fait que l’on a affaire à trois gros paquets de formants figuratifs dont il faut tenir compte pour le processus analytique de son plan de contenu.