2-4. Troisième segment

Il nous reste la troisième et dernière unité segmentale du discours d’ordre magico-rituel. A son registre aspectuel, elle correspond à la phase terminative pendant laquelle le chaman clôt son activité dans son ensemble. De cette valeur on a déduit deux figures, /ancestralité/ et /désacralisation/. Alors que celle-là recouvre la durée de deux séquences /changbu/ et /malmyung/, celle-ci est impliquée dans la séquence de clôture. La figure /ancestralité/ représente une scène où le chaman invoque ses deux premiers aïeux homme et femme. Le premier chaman-homme est reconnu traditionnellement comme le chef de troupe de clowns et la première chamane-femme s’identifie selon certains chamans. eux-mêmes à la mère d’un célèbre général de l’époque des Trois Royaumes Kim yu-sin.

Le troisième segment du procès chamanique recouvrira, du point de vue du schéma narratif, le moment de Sanction. Les ancêtres du chaman qui y sont invoqués incarnent le tiers actant qui, en tant qu’autorité chamanique, l’a manipulé comme sujet virtualisé en amont du processus de communication du type magico-rituel. Le système de repérage axiologique apparaît de nouveau au moment de clôture de l’ensemble rituel et le Destinateur qui en est porteur confirme ou renforce en intensité le lien fiduciaire entre l’homme et l’esprit assumant un acte d’évaluation par sa présence elle-même. En règle générale, la Sanction porte positivement sur la performance, « jeux », 1 accomplie dans l’espace-temps mythique du rituel chamanique. Ils occupent donc le pivot structural dans un parcours narratif qu’on appellera ‘Reconnaissance’. On se rendra compte que le rôle de tiers actant se trouve exprimé par deux acteurs distincts que nous avons identifiés à une seule figure du monde /ancestralité/. De ce point de vue, les entités qui s’y incarnent dans le corps du chaman sont un sujet duel qui prend le rôle de destinateur-judicateur en glorifiant l’issue du programme d’action principal.

L’acteur duel se combine avec un autre acteur à qui la figure /désacralisation/ sert de support de manifestation sur le dispositif actoriel du troisième segment de l’ensemble rituel. La figure en question est aussi une figure de dimension topologique qui renvoie à la manière qu’a l’actant-observateur de percevoir l’organisation spatiale du texte rituel dans la phase terminale du procès qui s’y implique. Après avoir rendu hommage à ses prédécesseurs ancestraux, le chaman va à l’extérieur de l’espace rituel. C’est dans l’endroit rituellement non-marqué qu’il fait venir alors tous les esprits subalternes qui n’ont pas eu la chance d’être appelés dans le corps du rituel chamanique. Le changement du dispositif spatial signale en parallèle la hiérarchisation du panthéon du Chamanisme en Corée : les esprits qu’on classe en bas du système de places ne peuvent être invoqués qu’en plein air et ceux qui sont hiérarchiquement supérieurs restent à l’enceinte de l’espace sacré et donc rituellement clos. De là vient une opposition des deux valeurs spatiales abstraites /Ouverture/ vs /Fermeture/ qui alternent l’une avec l’autre selon le statut d’esprits en appel. Le dispositif spatial du troisième segment de l’ensemble rituel s’avérera aspectuellement ambivalent en se dotant, tantôt de /perfectivité/, tantôt de /imperfectivité/. A partir de là se dessine un parcours figuratif qui comporte les deux figures /ancestralité/ et /désacralisation/. Nous l’appellerons ‘Carnaval’ en tenant compte du complexe aspectuel de l’espace où il est localisé. Dans ce parcours l’acteur-chaman apparaît comme un conseiller à l’écoute des revenants qui ont de quoi se plaindre. On en déduira son rôle thématique /Hôte/. Le chaman est une structure d’accueil pour les habitants de l’autre monde qu’on néglige dans la vie de tous les jours mais à qui on prête attention en les nourrissant et en les entendant parler de leur mécontentement à l’occasion du rituel chamanique. Le rituel s’achève ainsi sur une ambiance festive, voire chaotique au sens de réinvestissement de l’ordre établi. D’un point de vue socio-sémiotique, le palier thématique du discours renvoie à un topos spécifique de la sémiosphère sud-coréenne et qui nous informe sur la manière dont les habitants de l’autre monde sont réintégrés, au niveau de temporalité mythique, dans le devenir de ceux qui sont de ce monde-là. A ce moment de clôture de la séance chamanique cette instance actorielle se montre, dans son mode d’être sémiotique, en cumulant deux rôles, actantiel (lieu de manifestation du Destinateur-Evaluateur), thématique (point d’assistance).

Notes
1.

Parmi de diverses dénominations, on appelle parfois « jeux » la séance chamanique sud-coréenne, ce qui met en relief son aspect ludique et spectaculaire.