2. Critères de classification

Le Chamanisme en général est une forme de pensée « primitive » à tel point qu’il figure dans le premier chapitre de l’histoire des religions. De même, sa variante coréenne est une croyance populaire qui remonte aux temps préhistoriques et qui nous parvient vivante jusqu’à aujourd’hui. En passant d’une génération à la suivante dans la tradition orale depuis plus de quatre millénaires 1 , le Chamanisme coréen forme le sous-espace spécifique au sein de la sémiosphère du pays. Il fournit fondement à l’interconnexion des langages qui rendent possibles la communauté de la croyance chamanique. Parmi eux, il y a, bien entendu, des textes sacrés mais aussi bien d’autres comme spécificité du système de parenté « nouveaux enfants vs nouveaux parents », rapports entre femme (prêtre) et homme (héritier de biens), structure sociale, appelée dangol 2 ... etc. Autant dire que la performance d’un rituel chamanique quelconque implique, du point de vue socio-sémiotique, l’existence de typologie des types de textes. Or ils relèvent de la littérature orale qui renvoie au domaine de pratiques magico-rituelles correspondant. Vu le caractère fluent des chants chamaniques qui se transmettent d’une génération à la suivante dans une tradition orale (les travaux de leur recueil ne datent que des années 30 de ce siècle), d’une part et la diversité d’activités humaines qu’ils impliquent, d’autre part, il sera en réalité quasiment impossible d’établir leur classification stricte et déterminée une fois pour toutes. Au lieur de cela, il nous semble plus intéressant de nous en tenir au paradigme de sémantiques où le mode continu est mis en valeur pour la catégorisation d’objets du monde. A ce propos, nous faisons nôtre l’avis de J.-M. Adam qui, après avoir passé en revue la position de M. Bakthine, propose une définition à l’égard d’analyse de genres de textes :

Plutôt qu’en termes de traits nécessaires et suffisants, il sera donc plus réaliste de proposer une typologie de textes chamaniques qui sont prototypiquement liés à des domaines de pratiques socio-culturelles des membres de la communauté de croyance chamanique. Nous procéderons donc à leur classification en les situant dans le processus de couplage qu’ils maintiennent avec leur entour dans les limites de la sémiosphère spécifique à leur culture. En agissant de la sorte, il nous sera possible d’associer l’organisation typologique des textes chamaniques, sinon à la praxéologie, du moins à la praxis énonciative qui les met en discours. Comme l’a prévu Saussure, cela permettra d’observer la vie de signes au sein de la vie sociale où ils prennent sens pour les sujets qui s’engagent dans le couplage structural. Cependant les données socio-culturelles ne constituent pas pour nous des facteurs extrasémiotique. Le contexte de la sémiosis est aussi un langage au même titre que d’autres qui forment ensemble le réseau intersémiotique (E. Landowski).

Dans une telle perspective socio-sémiotique, les textes chamaniques que nous analyserons ultérieurement pourront se regroupant en genres de discours d’abord en fonction de rapports d’intentionnalité qui lie l’actant (sujets collectifs d’une pratique sociale) au procès de la communication où elle se déroule. C’est un critère de classification extrinsèque mais nécessaire, quand on aborde la question de genres de discours qui n’est pas isolée de celle de rapports pragmatiques entre sujet et langage. Etant donné leur caractère oral, on peut classifier les textes concernés en déterminant les positions qu’ils occupent sur l’axe syntagmatique de la séance chamanique. La valeur structurale de chaque texte est caractéristique de la question de savoir à quel moment il se trouve inséré sur le déroulement du procès de la communication. Cela exige qu’on tienne en compte la structure interne de l’activité magico-rituelle. Il s’agit donc du critère intrinsèque qui nous oblige à l’articuler, d’abord en des unités distinctives, ensuite en des séquences d’intégration supérieure. Afin de classer les macro-unités de l’analyse textuelle en rapport avec la sphère sémiotique de l’entour humain, nous proposons le dernier critère qui concerne les formes proprement linguistiques des chants chamaniques. Avant de parler en détail de chacun d’eux, résumons les trois critères de classification qu’il nous faut pour envisager la typologie des textes dans son rapport à la classification des séances chamaniques :

  • la visée de l’activité chamanique,
  • la structure syntagmatique de la séance chamanique,
  • l’organisation compositionnelle des textes chamaniques.

Notes
1.

L’histoire du Chamanisme coréen commence, selon certains, avec le mythe fondateur du premier royaume dont hérite le peuple du pays. Le temps traditionnel propre à sa culture connaît d’ailleurs un calendrier qui ne correspond pas au calendrier occidental. D’après ce mode de temporalité, on est en 4329 ans.

2.

Dans les régions rurales, chaque chaman s’occupe d’un secteur qu’on appelle ainsi. C’est une sorte de juridiction qu’il faut respecter sous peine d’être puni.