4. Description du corpus

Dans le cadre de la présente recherche de troisième cycle, nous concevons le corpus sur lequel nous travaillerons comme le complexe signifiant composé de deux types de sémiotiques : textes à caractère oral (chants chamaniques) et langage rituel (séances chamaniques). On en rendra compte à la lumière des schémas qui viennent d’être mis à jour. Le choix de notre corpus a été fait en référence à trois types de rituel chamanique : chulmurigut (type de 2-1 selon notre schéma), nerimgut (1-1) et senamgut (2-3) 1 . De ces trois types de rituel chamanique, nous avons extrait cinq textes qui constituent la composante de sémiotique de la langue naturelle de notre corpus. Il y en a trois qui correspondent au premier type de séances : jesuk (esprit céleste de la vie et longévité), sungjou (esprit protecteur de la maison) et degame (esprit de la richesse matérielle). Et pour le reste ils correspondent chacun aux deux derniers types de rituel chamanique : nalmansebaji (1-1) et barigonjou (2-3).

Commençons par nalmansebaji. C’est un texte réalisé sous la forme de réplique de dialogue et qui s’inscrit dans une cérémonie de remise d’instruments sacrés qu’on appelle nerimgut. Cette dernière consiste en ce que le chaman qui la préside transmet au nouveau chaman des objets qu’il lui faudra pour mener des activités chamaniques. C’est celui-là qui en assume l’instance d’énonciation. Elle se déroule à huis clos, étant donné son caractère privé, ésotérique. Le destinataire de la séance est le nouveau chaman et son but de le consacrer. Elle fait partie, à son tour, de l’ensemble rituel d’initiation, appelé aussi nerimgut (1-1) qui s’échelonne en trois étapes : herjougut, nerimgut et soslgut. Ce sont trois séances interdépendantes qui ont lieu chacune à des intervalles de temps fixés (de deux à trois mois entre les deux premières et de cinq à six ans entre les deux dernières). L’ensemble rituel a donc une structure tripartitive dont la cérémonie qui incorpore notre texte est une composante. Par rapport à l’espace structural de l’ensemble rituel, la séance revêt une valeur imperfective en termes d’aspect. Il en est de même pour le procès interne à elle, car elle se segmente en six séquences dont la cérémonie en question occupe la quatrième.

En termes sémio-narratifs, il y a un programme d’action dont la visée consiste en transformation modale d’un sujet d’état. Le rôle de bénéficiaire du P.N de base est attribué au nouveau chaman à investir dans sa fonction de « médiateur ». Il passera ainsi d’un mode d’existence virtualisé à la modalisation actualisée à travers une performance qui est mise en place par un autre actant, en l’occurrence le sujet collectif de la confrérie de chamans.. On voit donc que le processus de communication de ce type se déroule à un niveau isotope de rite de passage sur la toile de fonds fiduciaire qui reste à déterminer. Sa dimension de « croire » nous renvoie ainsi devant la question de savoir quel est le type de relation qui existe entre, d’une part le sujet opérateur du programme d’action principal et d’autre l’instance qui l’instaure comme tel.

En ce qui concerne barigonjou, il s’agit du mythe d’origine que l’on raconte lors d’une cérémonie funèbre (2-3). Elle peut avoir lieu plusieurs fois à dates précises (quarante-neuvième jour, un an et trois ans de la mort). Sur l’échelle de proximité de notre schéma ci-dessus, il occupe une position intermédiaire entre deux pôles individuel et public, puisqu’elle est destinée aux membres du défunt qui la demandent. La narration du mythe intervient dans la phase osin du procès rituel. Selon le critère d’aspectualité, elle prend donc la valeur imperfective. Le degré de narrativité en est maximalisant.

C’est le chaman qui accomplit le rôle de sujet de faire dans un PN ayant pour but d’amener l’âme défunte à l’outre-tombe, cette dernière étant le sujet qui en est bénéficiaire. La performance qui en vise la réalisation est donc une mise en scène rituelle dans laquelle il se comporte comme guide psychopompe. Parallèlement avec l’objet-valeur qui y circule, il y a quelque chose qui advient dans la configuration modale du sujet d’état. Le transfert à l’ailleurs nécessite le changement de mode d’être qu’on désigne dans la littérature ethnographique sous le nom de rite de purification. Sinon, le défunt errera sans trouver d’asile en l’au-delà. L’objet-valeur qui s’y investit s’avère ainsi indispensable à la reconstitution modale du sujet d’état.

Pour les trois textes qui nous restent à expliquer, ils concernent les trois esprits les plus importants dans le panthéon du Chamanisme en Corée. Ils nous semblent être représentatifs du champ conceptuel qu’il recouvre. C’est la raison pour laquelle ils ont été pris en compte. Lors de l’exercice analytique, nous prendrons en considération le texte qui concerne l’esprit protecteur de la maison. On les trouve lors d’une performance du type de séances (2-1) prévue à l’intérêt général familial. Ils ont une forme poétique avec le degré de narrativité faible.

Ce sont les membres de famille que vise l’activité chamanique dans leur statut de patient. Ils en sont en même temps l’instigateur. Du point de vue de la réception, on pourra les considérer comme ayant le rôle actantiel de destinateur en amont de la communication dans la mesure où ils font concevoir au sujet de faire un programme dont le but réside en amélioration du train de vie en général.

En se servant de notre schéma, nous reformulerons la classification des textes à analyser comme cela :

La lecture qu’on peut fait du schéma polygone est fonction du système de coordonnées dans lequel les points se rencontrent à l’intersection des trois gradients de typicalité. Le dispositif topologique qu’il implique pourra informer, sinon sur le sémiosphère, du moins sur l’univers référentiel des pratiques socio-culturelles de la communauté chamanique.

Notes
1.

Les deux premiers rituels sont l’extrait d’un ouvrage de recueil des chants chamaniques, intitulé 김금화의 무가집, 김금화, 문음사, 1995. On y trouvera aussi les textes sur lesquels on travaillera. Pour le dernier, on se permettra de renvoyer le lecteur à 한국의 샤머니즘, 조흥윤, 서울대학교, 1999. Concernant le mythe qui y est associé, on en a sélectionné la version parue dans 한국 무속의 이해, 최길성, 예전사, 1994.