Partie III. Analyse textuelle

Chapitre 1. « Princesse abandonnée »

1. Orientations de l’exercice analytique

Ce qui nous préoccupe ici, c’est un mythe d’origine, épopée chamanique, qui s’appelle Princesse abandonnée. Il raconte comment la première chamane était venue au monde. Ce qu’il y a de spécifique pour le mythe, d’ailleurs comme pour d’autres textes du même genre, c’est qu’il s’accompagne toujours d’un rituel, en l’occurrence la cérémonie funèbre. On la désigne en langue locale sous le nom de senamgut qui veut dire littéralement « rite de renaissance ». Il s’agit du rituel de morts typique de la capitale sud-coréenne et de ses environs. On notera en passant qu’il est déclaré le n°104 du patrimoine culturel de la Corée du Sud.A l’occasion d’un rituel de ce genre, le chaman qui s’en charge est censé purifier et emmener l’âme défunte à l’autre monde.

Le mythe dont il s’agit nous apparaît alors comme une unité quantifiable en temporalité et qui contribue à articuler en tant que composante le complexe plus étendu qu’est le rituel funéraire. Outre l’acte du dire (récitation du mythe), le rituel comporte d’autres systèmes de manifestation comme illustrations sacrées, manières de table, danse, musique de percussion, etc. En bref, tout ce qui relève de la mise en scène rituelle. C’est la notion de texte multimodal qui s’impose et le langage chamanique se compose de différentes sémiotiques syncrétiques relativement autonomes mais qui se complètent les unes par les autres dans une forme structurale de niveau d’intégration supérieur.

Avant d’en analyser la composante textuelle dans son mode de « saisie sémantique » dans le sens où J. Geninasca l’entend, on s’efforcera d’abord de mettre à jour des rapports de renvoi qu’elle entretiendrait avec l’espace rituel qui lui donne sa propre valeur, tantôt positionnelle sur l’axe paradigmatique, tantôt contrastive sur la dimension syntagmatique. La méthode d’analyse structurale permettra ainsi de rendre compte comment l’unité textuelle arrive à exclure d’autres unités constitutives du rituel chamanique en les évoquant dans le rapport d’opposition et surtout de négativité qui les unit différentiellement à l’intérieur du langage rituel. Du point de vue de l’interprétation, c’est le mécanisme d’afférence dont nous tiendrons compte aussi pour la description de notre corpus. On se demandera ainsi quels sont les rapports s’établissant entre les éléments dignes de valeurs distinctives et dans quelle mesure ils contribuent à la mise en scène rituelle à travers quoi une réalité originelle se laisse montrer autant du point de vue de production que de celui de reconnaissance.

Tout en adoptant la méthode structurale basée sur la négativité, « fracture » des valeurs minimales, il nous faudra aussi réfléchir sur leur « positivité » liée à des fonctions référentielle et tensive du langage rituel. En termes sémio-mathématiques, il sera tentant de les aborder sous l’angle d’espace catastrophique dont le centre organisateur détermine dans certaine mesure le potentiel de l’espace structural d’ordre magico-rituel, c’est-à-dire son parcours de génération du sens ainsi que celui d’interprétation. Cela nous amènera à des problématiques comme rapport de référence entre l’espace externe et l’espace interne, champ de présence, énonciation, intersémioticité, etc.