3-1. Rapport local entre le texte mythique et le contenu propositionnel du micro-procès

Dans la séquence qui précède immédiatement l’acte du dire mythique, ce sont des messagers de morts, sajesamsung, qui y sont invoqués pour qu’on leur rende hommage. A la séquence de la narration mythique succède une autre, appelée bakdoreng (qui veut dire littéralement « tourner à l’extérieur »). A ce moment-là, se produit le changement du dispositif spatial du rituel : on se rend alors à un endroit où se trouve une sorte d’autel, yunjidang prévue pour une divinité d’origine bouddhiste, jijangbosal (voir la photo ci-dessous à gauche).

Devant ce petit temple de prière sont installées deux portes, « grande porte» et « petite porte». La chamane habillé en personnage de naissance royale marche en tête de la procession en faisant une danse au rythme ralenti et il est suivi des proches de la mort qui tiennent à la main de divers artefacts rituels comme cadre de la photo du décédé, chandelier, encensoir, une petite table de mets, etc. (la photo ci-dessus à droite). On y voit aussi une couche de natte portée par deux femmes. Là-dessus, on a posé deux bandes d’étoffe rouge et bleue en guise de matelas et de couverture, ce qui symbolise le lit du défunt. Il s’agira de signes par ostentation qui le simulent en train d’être en passe à l’au-delà. Arrivée devant le temple de prière, la chamane tourne autour en dansant une seule fois. Il le fait en ouvrant et fermant ses bras latéralement, une étoffe blanche à la main. C’est ce qu’on appelle sondorung (« danse de main »). Le cortège se rend ensuite vers la grande porte et là la chamane fait le tour neuf fois en faisant des mouvements pareils. Par exemple, quand la chamane fait une danse qu’on appelle bouchedorung, il tient un éventail à la main droite et secoue une clochette à la main gauche. Il hausse l’éventail au-dessus de sa tête et pivote sur soi dans le sens contraire à celui des aiguilles de montre. Il le baisse ensuite à la hauteur de sa poitrine et tourne dans le sens inverse. Et il le ferme et fait le tour trois fois autour d’une table en agitant légèrement la clochette. Ainsi le cortège arrive-t-il devant la grande porte qui symbolise l’entrée en l’autre monde. La chamane se met alors à entamer un dialogue avec son gardien, mounsaje. Il s’agit de la négociation de prix pour le passage : ce dernier exige que l’on paie pour l’ouvrir. Une fois conclue cette négociation, la porte s’ouvre et alors commence ce qu’on nomme moundelum. C’est un rite de passage qui fait que la suite de la chamane passe sous la porte. En sortant de là il s’arrête devant l’autel de jijangbosal pour y dédier des objets précieux comme les étoffes de haute qualité.

C’est ce qu’on observe dans l’une des séquences du micro-procès bakdoreng. Elle est suivie d’une autre, yungsil. On rentre alors dans l’enceinte de l’espace rituel où se trouve la principale table d’autel. La chamane et les gens qui le suivent en procession marchent en ronde neuf fois autour d’elle. Après cela arrive un moment dramatique puisque la chamane incarne l’âme défunte qui, dans sa bouche, demande pitié à la divinité en implorant la cause de son décès injustifié à ses yeux. Après quoi, on a affaire à une séquence, qualifiée de andoreng (qui veut dire littéralement « tourner à l’intérieur »).

Les trois séquences qu’on vient de décrire sont en rapport local avec le contenu propositionnel de ce qu’on a appelé le micro-procès. A cela s’ajoute sur son axe syntagmatique une autre séquence, bejje. A ce moment du déroulement du rituel, la chamane toujours en habit royal coupe en deux une longue étoffe avec une épée sacrée en progressant au milieu. Il fraie ainsi au défunt le chemin qui l’amène à l’autre monde. On dit que l’image de l’étoffe renvoie au pont qui lie le monde d’ici-bas à l’outre-tombe.