3-5. Figurativité spatiale et champ de présence

Dès lors que l’on a décrit le texte en termes de parcours du sens, on s’intéressera à la question de sa figurativité spatiale. Pour ce faire, reprenons la liste des éléments de la Nature qui ont été repérés à ses deux paliers d’organisation sémio-narrative et discursive : /Terre/, /Eau/ et /Arbre/. Ce sont des formants figuratifs qui servent à la figurativité spatiale en profondeur de cadre de manifestation en surface. Les opérations perceptivo-discursives qu’ils déclenchent permettent à un individu de se repérer dans son discours en acte. L’instauration du sujet énonçant est coextensive de la mise en place d’un système de repérage spatial. En balisant son discours, le sujet qui y débraye organise des informations perceptives venues de rapports phéno-physiques qu’il maintient avec son entour.

Il y a une figure-objet du monde identifiée par le sujet énonçant comme l’entité divine sungju et il la vise dans un tel dispositif spatial qui se trouve directionnalisé de /verticalité/ à /horizontalité/. A son tour, la force spirituelle qu’elle représente saisit le sujet énonçant en déterminant sous un certain rapport la manière dont il installe le système de référence spatial dans son discours. En ce sens, le langage spatial en profondeur est susceptible de modeler la fiducie perceptive qui donne le fondement sensible à la modalité véridictoire /croire/ de son discours liée à la modalité épistémique /savoir/. Le processus de spatialisation n’est pas seulement une composante autonome de la sémiotique discursive. Il serait déjà prégnant dans la mise en équivalence formelle de l’univers sensori-moteur et du monde d’objets externe. Dans le cas de notre texte, la prégnance perceptive qui s’implique dans la mise en place du langage spatial semble régulatrice de la transformation topologique entre les données spatiales (/Haut/ et /Bas/ initialement investies par l’opposition Sacré vs Profane), d’un côté et les éléments figuratifs de dimension cosmologique (/Terre/, /Eau/, /Air/) : sur l’ensemble de coordonnées spatiales, A, se trouvent transposés les éléments de l’autre ensemble, B, qui relève du registre différent de distinctions du réel, ce transfert étant garanti par des traits perceptifs qui leur sont communs. L’opération de sélection des traits, qui varie d’ailleurs d’une zone socio-culturelle à une autre, donnera lieu à une homologation du type :

Le schéma ensembliste ci-dessus a pour but de montrer comment l’instance de contrôle de l’ensemble rituel, dont le sujet d’énonciation linguistique fait partie intégrante, procède à regrouper dans leur relation de proportionnalité les composantes des deux champs sémantiques distincts (spatialité et cosmogonie) en des catégories-termes qui forment un autre ensemble paradigmatique plus global. Dans ce dernier, /Haut/ est à /Terre/ ce que /Bas/ est à /Eau/ de sorte que l’intersection des deux sous-ensembles donne naissance à une autre figure /Air/ qui n’est autre chose que leur terme médiateur (complexe ou neutre). Le processus de transformation se poursuit lorsque le terme qui dialectise en son sein les propriétés contradictoires contribue à re-distribuer l’opposition axiologique /Sacré/ vs /Profane/ sur le dispositif spatial du discours.

Le trajet de l’acteur-arbre de fondation est, on l’a vu, initialement commencé dans le domaine d’isotope cosmologique et il s’achève à la future maison dont l’emplacement est aspectuellement exprimé par la valeur /terminativité/ du procès « Déplacement ». Comme l’instance actorielle est aussi le lieu de transformation d’objets-valeurs, le contenu local qui l’accueille se trouve métonymiquement affecté par ce qu’ils véhiculent. L’habitat mondain qui est spatialement situé sur l’axe horizontal devient axiologiquement réinvesti. La figure spatiale /Bas/ se voit recatégorisée en étant en conjonction avec l’objet-valeur /Non-Profane/. D’où une syntaxe figurative qui rende compte du procès de recatégorisation spatiale homologuée à l’axiologie qui s’investit en discours.

Afin de mettre en intelligibilité ce qui l’affecte dans le champ de présence, l’instance de contrôle de l’ensemble signifiant n’aura pas d’autre moyen de recourir au « changement de lieux », corrélation homologique, qui lui permet de le transposer sur le plan toposensible du langage spatial en profondeur. La masse phorique, telle qu’elle est redéployée dans la profondeur tensive, lui servira de matière sensible pour discrétiser en termes axiologiques le destinataire, objet-figure de la séquence sungjugut en voisinage avec l’espace textuel. En faisant appel au carré sémiotique, on expliquera les catégories qui s’opèrent au niveau profond de la figurativité spatiale du discours-énoncé linguistique comme ceci :

Le contenu local où la catégorie /Non-Haut/ s’actualise désigne un registre de sens schématique. C’est là où on peut observer l’opérativité du terme médiateur /Arbre/. Du point de vue de la logique tertiaire, il a pour fonction de gérer l’opposition qualitative /Haut/ vs /Bas/, avec cette possibilité qu’elle puisse être relayée récursivement par une autre opposition de différente isotopie spécifique dans le processus de transformation. Il se manifeste en texte par la figure /arbre/ qui est dotée ainsi des sèmes afférents contraires comme /sacré/ et /profane/. Dans la perspective morpho-génétique, la figure en question renvoie à un « lieu vide » où apparaît un nouveau centre organisateur de l’ensemble signifiant qu’est le rituel chamanique chulmourigut. L’un des deux termes mis en conflit catastrophique nie d’abord sa propre identité formelle en fusionnant avec son terme contraire, ce qui cause un état d’indétermination, « cusp », sur l’axe sémantique qui les subsume en carré dynamique. La disparition de l’ancien centre de contrôle de la structure homologique /Haut/ : /Terre/ = /Bas/ : /Eau/ est due à cet état de point critique de la perception. A partir du point du cusp, génère un autre terme catégoriel, en l’occurrence l’axe horizontal qui se trouve maintenant recatégorisé par l’axiologie /Sacré/ vs /Profane/ sous la dépendance du nouveau centre organisateur. Rappelons que nous avons déjà mis en évidence la syntaxe figurative pour rendre compte de ce phénomène de ré-organisation spatiale du discours. Sous l’angle morpho-dynamique du sens, il pourra être considéré comme étant consécutif à la succession des centres d’organisation. La figure /arbre/ est de grandeur transversale en fonctionnant à la fois en surface (rapports différentiels avec les autres éléments de la Nature) et en profondeur (prégnance perceptive) du discours.

Dans un autre registre cette fois intersémiotique, on a attribué, au terme de la description de la manière de table, la fonction tensive à l’autre figure-valeur /Air/ qui en est une variable. Comme prévu par la sémiotique tensive, on se proposera dans un premier temps d’avancer deux gradiences de valences : religiosité (gradience d’intensité perceptive) et quantité cosmologique (gradience d’extensité méréologique du monde perçu). Les degrés de « tonalité » des deux échelles valencielles se disposent dans la profondeur du champ de présence. Les points singuliers qui y figurent peuvent former deux courbes, soit inverse, soit converse qui, exponentiellement, rendent compte de modes de corrélations entre le dedans et le dehors de l’instance proprioceptive. En faisant appel au schéma tensif, on pourra les représenter comme ceci :

Il nous semble cependant nécessaire de préciser notamment l’échelle de valences extense, car notre texte est riche d’éléments figuratifs de la Nature en étant centré sur la description des rapports méréologiques qu’ils établissent entre eux. L’échelle d’extensité paraît comme une donnée plus saillante qui guide l’attention du flux perceptif traversant le champ de vision de l’observateur. Le plan de forme de l’organisation textuelle nous conduit donc à la développer sur deux axes continus /Solidité/ et /Liquidité/. La morphologie dyadique que nous faisons de l’étendue quantitative du monde textuellement perçu n’est pas sans évoquer la topographie dont nous avons dessinée au sujet de l’aspect pragmatique du langage culinaire en rapport avec son sujet énonçant. L’intersémioticité entre mythe et rite est rendue possible à travers le semi-symbolisme qui se jouent sur la correspondance entre les catégories des deux langages relativement autonomes mais participant au système de signes multimodal : le langage culinaire (opposition /Terre/ vs /Eau/) et la sémiotique de la langue naturelle (contenu noématique du champ de présence).

Cela étant dit, reprenons notre graphe en y projetant trois échelles valencielles mises à jour. Alors on aura affaire à quelque chose comme ceci :

Les propriétés fondamentales en restant inchangées, ceci est topologiquement équivalent à cela :

La discrétisation spatiale qui s’introduit en discours-énoncé linguistique exerce une influence sur l’espace de référence qui l’englobe en contribuant à le catégoriser en un espace de contrôle multiparamétrique. A son tour le centre d’organisation de l’ensemble rituel participe à l’instauration de l’instance de sélection qui actualise le potentiel du texte à un état de son processus de transformation morpho-dynamique. L’entour du sujet énonçant sera donc un monde de visions parmi d’autres grâce aux modes de corrélations qu’il établit entre trois échelles de valences en profondeur tensive. Le type de corrélations que l’on observe dans notre cas est de l’ordre converse : plus d’intensité perceptive y aura-t-il sur l’échelle d’affectivité religieuse, plus d’étendue quantitative se dessinera sur l’autre (de liquidité et/ou de solidité). C’est le régime participatif qui régit leur conjonction proportionnelle. Le sentiment religieux du sujet tensif va toujours dans le même sens que le degré d’informations qu’il perçoit de la morphologie cosmologique de son entour. Les corrélations valencielles qui surgissent en champ de présence seront considérées comme étant préalables à l’établissement du système de valeurs qu’il investit dans les figures du monde. Elles permettront de rendre compte de la distribution scalaire des formants figuratifs en oeuvre dans le texte :

IntensitéExtensité Faible Moyen  
Faible      
Moyen   Air (+-L, +-R), Arbre (+-S, +-R)  
Fort   Habitat (+S, +-R) Montagne (+S, +R), Eau (+L, +R)

L’échange d’objets-valeurs qui circule entre de divers actants se fait par le truchement des figures du monde où elles s’investissent. Le tempo et l’aspectualité du processus de transformation narrative sont caractéristiques de la manière qu’a le sujet tensif de faire apparaître et disparaître les objets-figures de perception sur l’horizon du champ de présence où il s’immerge.