3. Fiducie et distribution symétrique de la spatialité

Regardons donc plus près l’espace textuel pour constater d’abord une symétrie rendue possible par la distribution de deux verbes de mouvement ‘aller’ et ‘venir’. En début du procès d’énonciation, l’instance qui le prend en charge débraye hors son lieu originaire sur l’espace textuel en y projetant un point de repérage spatial /Non-ici/. On sait que la signification du verbe d’aller comme celui de venir sont caractéristiques de la position cognitive ou imaginaire du sujet d’énonciation. C’est un indice formel qui s’encre dans le contexte spatio-temporel de l’acte d’énonciation. La construction sémantico-syntaxique qu’il sous-tend pourra être explicitée comme ceci :

(F) S [(SO) -> (SO)],

F : transformation (direction),

S : actant-sujet d’énonciation (énonciateur et/ou énonciataire),

O : objet (cas datif),

 : disjonction,

 : conjonction.

Le contenu propositionnel qui s’y exprime rend compte de la phase inchoative du procès d’énonciation : le sujet qui s’y énonce est privé de une valeur prospective qu’il investit dans le contenu local manifesté par le cas datif de la construction en question. Il veut que la situation initiale du procès change de telle sorte qu’il se trouve en conjonction avec elle. Dans notre texte, le contenu local qu’il vise est représenté par une figure /porte fermée/. L’énonciateur amène son énonciataire là où elle est pour qu’il l’ouvre. Elle sert donc de support de manifestation énoncif pour le point de repérage spatial fondamental /Non-ici/ que le sujet énonçant projette hors d’/Ici/ d’ordre énonciatif, ce qui a pour effet de sens d’installer un système de référence /Ailleurs/ à partir duquel peuvent se générer d’autres registres du dispositif spatial en discours. Dès que la porte ouvre, ce n’est pas le paradis mais une série d’épreuves qui attendent l’énonciataire : le chaman-manipulateur qui préside le rite d’initiation montre à l’initié-manipulé le chemin à parcourir en décrivant ce qui le balise de dysphorique. Le contenu de l’espace d’épreuves, c’est ce qui sert de support au destinateur de l’objet-message pour assumer un acte factitif en Manipulation. Il le fait sous la forme d’une programmation d’action qui, dans l’esprit de l’énonciataire, tient lieu de quelque chose d’autre. Ce quelque chose renvoie à la manière dont il règle l’expérience qu’il a de l’activité chamanique en question, en la re-présentant par le truchement des figures du monde qui sont déposées en mémoire à travers la praxis énonciative de la communauté chamanique. Le savoir figuratif qui constitue la compétence discursive du sujet énonçant sert à opérer le changement de lieux entre les régimes d’affectivité et d’intelligibilité et cela en fonction d’opérations énonciatives par lesquelles le corps parlant projette d’abord le vécu originaire de son acte d’énonciation en établissant le point de repérage spatial /Ailleurs/ objectivé. La « scission originaire » qui advient à chaque fois qu’on débraye est nécessaire à ce qu’il se pose comme une instance d’énonciation. Il se décroche ainsi de l’expérience qu’il a du percept du monde environnant pour pouvoir en parler à la troisième personne. A partir du point /Ailleurs/, il change de registres discursifs en l’articulant en deux espaces d’ordre énoncif, paratopique et utopique. Alors que l’espace paratopique est verbalement exprimé par l’emploie que le sujet énonçant fait du verbe d’aller, le repérage de l’utopique est rendu possible par la construction sémantique du verbe de venir qui apparaît à la phase terminative du procès d’énonciation où l’énonciataire se voit qualifié en recevant les objets rituels. D’où l’effet de symétrie dont on a parlé ci-dessus. Le point de référence spatial fondamental /Ailleurs/ se divise ainsi en deux espaces distincts qui correspondent à deux moments du schéma narratif, Manipulation et Sanction.