Conclusion générale

Quoi que le plus enraciné dans l’histoire de la Corée, le Chamanisme qu’on y pratique a un statut singulier qui fait qu’on a tendance à le considérer comme une croyance « déviante » vouée à l’irrationnel. Depuis plus d’un millénaire, il faisait l’objet de toutes sortes de déformation idéologique de la part des dirigeants de tels ou tels régimes socio-politiques qui se succédaient au cours du temps traditionnel de la Corée. Selon les mots de Michel Foucault, pour savoir ce qu’on veut dire par des concepts tels que normalité, légitimité, il faudra s’interroger en parallèle sur ce qui advient dans les champs de l’anormalité et de l’illégitimité. L’un des objectifs que nous avons fixés dans notre thèse était de vouloir restituer le Chamanisme à sa propre valeur parmi de grandes institutions religieuses qui coexistent sous le même contrôle de la sémiosphère coréenne en nous interrogeant sur cette « déviance » elle-même. Nous y avons consacré nos recherches en essayant de la comprendre à la lumière du paradigme d’analyse sémiotique.

Etant donné la diversité méthodologique qu’on y constate, il nous a fallu construire notre propre parcours théorique en référence à la spécificité de notre corpus qui relève de la tradition orale. En ce faisant, nous avons voulu ne tomber, ni dans l’oubli des acquis du savoir sémiotique, ni dans l’ignorance des champs problématiques que nous croyons connexes aux recherches en sémiotique. C’est la raison pour laquelle nous avons été assez prolixe (en plus de deux cents pages de discussion théorique) au risque d’être diffus. Les pages qui y sont consacrées pourraient être lues par certains comme donnant l’image d’une réflexion découplée de l’objet à observer. Notre conviction en est cependant que la procédure analytique n’aille en s’affinant que si elle est accompagnée de repères méthodologiques.

La démarche que nous avons adoptée pour la description de notre corpus était d’aller du plus simple au plus complexe. En vue de donner une interprétation du Chamanisme dans sa globalité, nous avons fait appel, dans un premier temps, au schéma narratif conçu comme la logique d’actions. Cela nous a permis de montrer la suite de présuppositions sous-jacentes au processus de communication chamanique et qui rend compte de la transformation modale du chaman dans son parcours d’identité balisé de trois moments critiques (épreuves de la maladie divine, transformation statutaire par initiation et actualisation du savoir à caractère oral en performance chamanique). Dans un second temps, nous avons décrit l’axiologie du Chamanisme en soulignant l’importance donnée à la personnalité du chaman qui joue le rôle central dans les activités magico-rituelles à la base des techniques de transe. C’est ainsi que la fiducie perceptive a été mise en rapport avec le champ de présence dont il est le centre organisateur et que la pratique socio-culturelle du chaman était abordée dans la perspective de praxis énonciative.

L’investigation sur le rapport du formel (espace sémio-narratif) et du sensible (régime de valences) a été rapprochée du résultat de l’analyse sémio-lexicologique du mot de chaman, ce qui nous a permis de proposer, au titre de schéma hypothétique du processus de communication, une « grammaire » du langage chamanique dans sa dimension syntagmatique.

Dès que le principe de formation de l’ « universel » a été expliqué, nous avons changé d’échelle d’observation en nous intéressant désormais au Chamanisme en Corée. La belle part de nos intérêts a été donnée à l’analyse des trois textes de genres différents. Vu leur caractère à tradition orale qui implique les activités rituelles correspondantes, nous ne pouvions pas ne pas nous laisser échapper au problème de contextualisation de la narration mythique. La voie de deux types de typologies de séances et de textes chamaniques nous a parue la plus efficace. Nous en avons traité dans le cadre de genres de discours. De la sorte, les chants chamaniques qui constituent la composante sémio-linguistique de notre corpus sont liés à la sphère sémiotique de pratiques socio-culturelles du Chamanisme coréen. Avant de nous engager dans la question de ces deux types de typologies, nous nous devions d’expliquer la séance chamanique type de la Corée, car l’un des trois critères de classification mis en avant porte sur sa structure interne. Cela nous a conduit donc à l’articuler en un certain nombre d’unités discrètes segmentales en séquences (qui sont autant de micro-séances chamaniques relativement autonomes) et recomposables en trois aspectualités (inchoativité, durativité et terminativité). Sur son plan référentiel nous avons voulu montrer dans quelle mesure la démarche sémiotique peut contribuer à éclairer les problèmes d’ordre ethnologique. Qu’on pense au problème d’identification de l’esprit hogu. Nous en avons proposé une interprétation en décrivant le rapport catastrophique du signe-vêtement et de l’espace de référence rituel. Nous croyons de la sorte ouvrir, sinon une voie interdisciplinaire avec l’ethnologie du Chamanisme coréen, du moins le dialogue avec les disciplines avoisinantes.

La question de classification des séances chamaniques a été abordée ensuite en rapport avec celle de genres de textes de même nature. Etant donné le parti que nous avons pris pour la sémantique du continu, les critères de classification ont été formulés sous forme de trois échelles de gradience. Le schéma polygone qui s’en est dégagé nous a permis ainsi de rendre compte de la composante linguistique de notre corpus en référence à la sphère sémiotique de pratiques socio-culturelles du Chamanisme en Corée.

En ce qui concerne l’analyse des textes, nous l’avons menée, entre autres, en faisant en sorte que notre graphe existentiel soit testé dans son efficacité opératrice. Nous l’avons appliqué notamment au mythe Princesse abandonnée en rapport avec trois « paliers » du parcours du sens, sémio-narratif (carré dynamique dans son aspect de syntaxe fondamentale), discursif (constitution thématico-modale de l’acteur-héroïne comme délégation du centre d’organisation de l’ensemble signifiant) et tensif (champ de présence conçu comme lieu de sémio-genèse). Dans un autre texte chant de la fondation, nous avons été amené à accommoder le schéma tensif à notre graphe en raison de sa densité figurative très dense, ce qui a donné lieu à une représentation dotée de trois axes de données factorielles au lieu de deux. En ce faisant, nous avions pour visée de faire apparaître le potentiel du texte dans sa multidimensionnalité.