Méthodologie

Le constat

D’un simple premier constat, nous sommes tentés de conclure que la dissuasion israélienne est un grand succès. C’est la thèse de Elli Lieberman (1995) 12 . Mais de plus près, les choses ne semblent pas être si évidentes. L’observation laisse penser qu’au lieu de prévenir les conflits, la doctrine de la dissuasion israélienne les a, paradoxalement, parfois provoqué. C’est le cas de la guerre de 1967. Avec le constat d’une défaite, on est tenté de dire qu’un État ne songe pas à affronter son voisin tout-puissant. À peine sortie de la guerre, avec une défaite militaire sans précédent, l’Égypte en février 1969, décide d’entrer en guerre d’usure “war of attrition” contre Israël explique Ahmed S. Khalidi (1973) 13 . Cette action motivée par la volonté des Égyptiens d’entraîner les Israéliens dans une guerre coûteuse et longue, émane du fait que le Caire sait que la supériorité aérienne d’Israël empêche toute action de traverser le canal de Suez. Puis Sadate en 1973, choisit d’attaquer Israël et provoque la guerre, malgré une situation militaire en sa défaveur.

Ces exemples nous invitent à aller voir de plus près, la portée de la dissuasion israélienne. Nous voulons voir comment elle est conçue par les Israéliens. Comment cette dissuasion est-elle perçue par ceux à qui elle est destinée, les Arabes ? C’est avec comme visée d’affronter deux écoles de pensée sur la théorie de la dissuasion rationnelle, que nous tentons de se placer. La première école tend à dire que la dissuasion est un succès car elle stabilise les relations entre les États. La deuxième est en revanche sceptique par rapport à ces conclusions, en mettant en cause la conception de la théorie de la dissuasion. Nous nous inscrivons dans la pensée tendant à dire que la dissuasion, notamment israélienne, est un échec. Dans ces conditions, Elli Lieberman (1995) 14 , note que si la théorie de la dissuasion ne permettrait pas d’aboutir à des résultats dissuasifs, elle serait un pauvre outil de gestion des conflits. D’après Lieberman, l’un des partisans de la théorie de la dissuasion, cette conclusion, si on l’accompagne d’une analyse profonde de cette évidence d’échec, pose un sérieux dilemme aux décideurs lors des situations de statu quo. Richard Ned Lebow et Janice Gros Stein ( 15 ) notent que la dissuasion, selon les études empiriques, a rarement réussi et cela remet en cause tout le raisonnement de ceux qui parlent du succès de la dissuasion. Ils expliquent que certains leaders défient la dissuasion, même en situation de vulnérabilité politique combinée avec une menace crédible de la part du dissuadant soulignent Richard Ned Lebow et Janice Gross Stein, (1990, pp. 336-369) 16 . C’est ce que nous appelons ici les “non-dissuadables”. Nous soutenons que la dissuasion israélienne n’a pas réussi à dissuader les Arabes. Mais si, explique Elli Lieberman (1995) 17 , on suit l’interprétation de Lebow et Stein, on peut donc dire que la thèse faible ou encore la variation de l’hypothèse satyre ou encore la divertissante théorie de guerre pose un sérieux défi à la théorie de la dissuasion. Malgré le style sarcastique de Lieberman, il semble que c’est le cas. Il y a en effet des situations dans lesquelles un acteur peut ne pas considérer la dissuasion, défier le plus fort et agir ainsi à l’encontre des attentes et des calculs rationnels de défenseur note Jack S. Levy, (1989) 18 . L’acteur peut avoir des raisons, telles que les décrit Raymond Boudon, qui le poussent vers un choix dit irrationnel. Par conséquent, il agit au contraire des calculs de la rationalité. Là, se pose la question de la définition de la rationalité et renvoie aux systèmes de valeurs de chaque acteur.

Si le challenger se met, pour des raisons nationales ou internationales, à défier le dissuadant malgré sa crédibilité de menace ; si, de peur de perdre la face, le challenger tient tête au défenseur, sans faire de pas en arrière lors d’une crise, alors les politiques de la dissuasion sont donc caduques et sont même contre-productives, écrit Jack Levy (1989). Ces arguments sarcastiques tenus par les défenseurs de la théorie de la dissuasion ne donnent pas satisfaction aux détracteurs de cette théorie. Or, dans la région, les cas d’exemples de l’échec de la dissuasion ne manquent pas. Le cas de Saddam Hussein illustre largement qu’en effet, il y a des acteurs “non-dissuadables“, et que les politiques de la dissuasion méritent d’être revues explique John J. Mearsheimer (2002) 19 . Cela suppose que le système international contient un groupe d’États non-dissuadables explique John J. Mearsheimer, et l’usage de la dissuasion par le défenseur dissuadant se révèle ainsi sans succès. Mais au fond, l’échec de la dissuasion en tant que but recherché par les Israéliens est-il dû au facteur de l’ambiguïté ou plutôt au fait de ces acteurs non-dissuadables ? Les implications de cette conclusion pour les États-Unis, sera dans un avenir proche, confronté à ces soi-disant non-deterrables écrit Lieberman (1991) 20 . Parmi les défenseurs du concept de la dissuasion, y compris ceux qui s’opposent aux actions des attaques préventives, on trouve ceux qui semblent être unanimes sur le fait que certains acteurs ne sont pas dissuadables. Ces acteurs sont suicidaires et doivent donc être empêchés d’accéder aux armes nucléaires explique Kenneth Pollack (2002) 21 . Elli Lieberman pense que la dissuasion est un succès, elle fonctionne et même si le challenger est très motivé ou encore non-dissuadable. Lieberman analyse et critique les conclusions de R. N. Lebow et J. Gros Stein, qui montrent que la dissuasion israélienne est un échec et concluent que la guerre de 1973 est l’exemple au succès de la dissuasion israélienne

Notes
12.

Elli Lieberman, “Deterrence theory, success or failure in Arab-Israeli Wars”, Chicago, McNair Paper, N 45, octobre 1995.

13.

Ahmed S. Khalidi, “The War of Attrition,“Journal of Palestine Studies”, Vol. 3, N. 1, automne 1973.

14.

Ibid.

15.

Les conclusions de Lebow et Stein sont basées sur une série d’études et d’investigations de cas d’échec de la dissuasion dans le Moyen-Orient. Ils ont étudié la guerre d’usure 1969-1970 et la guerre de 1973 entre Israël et l’Egypte.

16.

Richard Ned Lebow and Janice Gross Stein, “Deterrence: The Elusive Dependent Variable,” World Politics Vol. 42, No. 3, avril 1990, pp. 336-369.

17.

Ibid.

18.

Jack Levy, “The Diversionary Theory of War,” in Manus I. Midlarski, Handbook of War Studies , Boston, Unwin Hyman, 1989.

19.

John J. Mearsheimer, Stephen M. Walt, “Can Saddam be Contained”, Weatherhead Center for International Affairs, Harvard University, novembre 2002.

20.

Elli Lieberman, “Deterrence theory, success or failure in Arab-Israeli Wars”, Chicago, McNair Paper, N 45, octobre 1995.

21.

Kenneth M. Pollack, “Why Iraq Can’t Be Deterred ?”, New York Times, 16 octobre 2002.