La thèse

Notre cadre théorique général étant les implications de la théorie de la dissuasion, nous cherchons à voir ses effets dans le Moyen-Orient. Dans ce cadre, nous cherchons à trouver les signes des conclusions de cette école de pensée dans le langage, dans les actions des acteurs et aussi dans leurs décisions. Comment évoquent-ils l’objet nucléaire ? La théorie de la dissuasion suppose que les acteurs sont logiques, calculateurs et rationnels ; le sont-ils ? Autrement dit parlent-ils de la même chose, calculent-ils de la même manière ? Ont-ils les mêmes bases et valeurs de rationalité ? La science politique a largement concentré ses efforts d’étude sur comment penser la dissuasion. Cette thèse, qui s’inscrit dans le champ de la science politique, a pour objet les implications et l’usage que l’on fait de la théorie de la dissuasion rationnelle Rational Deterrence Theory, dans le Moyen-Orient. Elle s’inscrit ainsi dans le champ de la sociologie et plus particulièrement dans la continuité du paradigme de la rationalité et du choix rationnel. Notre terrain étant le Moyen-Orient, nous plaçons ce travail dans la continuité des travaux menés sur l’échec de la dissuasion et sur les décisions des acteurs. Nous souhaitons étudier l’effet d’une politique d’ambiguïté, comme choix, sur le succès ou non de la stratégie de dissuasion. Une puissance nucléaire est-elle crédible avec une telle politique ? L’exemple israélien est celui qui illustre le mieux la portée du choix de l’ambiguïté sur la crédibilité de la dissuasion dite rationnelle. De ce point de vue, en tant que seule puissance nucléaire non déclarée, l’État hébreu semble être, d’après Jean-Paul Joubert, une puissance non satisfaite. Israël, depuis les années cinquante, s’est vu confronté à un choix stratégique avec comme option : se déclarer ou non comme puissance nucléaire.

Pour des raisons multiples, la politique d’ambiguïté nucléaire a été l’option choisie. Israël n’a depuis jamais reconnu avoir en sa possession des armes nucléaires. Il est le pays qui est publiquement connu comme celui qui ne sera pas le premier à nucléariser le Moyen-Orient. Or, Tel-Aviv affiche, depuis 40 ans, une ambiguïté suivie par tous les décideurs israéliens. Cette politique semble être l’un des obstacles majeurs contre un éventuel succès de la dissuasion de l’État hébreu. L’échec de la dissuasion, rend aux Arabes la confiance perdue depuis 1967, aboutissant aux accords de paix. « Heureusement qu’elle a échoué » disent certains analystes. C’est dans son échec que la région a pu trouver une issue et sauver la face, côté arabe, pour aller vers la signature des accords de paix. Mais au fond, une dissuasion aura-t-elle une possibilité de succès si, comme dans le Moyen-Orient, elle est toujours confrontée à des acteurs non-dissuadables ? De plus si les challengers persistaient dans cette voie, une guerre nucléaire régionale peut-elle avoir lieu ? Autrement dit, l’État hébreu, lors d’une situation de défaite, aurait-il recours à ces armes ? On verra dans la seconde partie de ce travail de recherche, que l’opinion publique israélienne justifie largement un éventuel usage de ces armes lors d’un conflit avec l’un de ses voisins. Les attaques de Scuds en 1991, sont interprétées comme un signe de faiblesse dans la crédibilité de la dissuasion israélienne. En effet, l’absence de riposte aux attaques des missiles irakiens durant la guerre du Golfe en 1991, ainsi que le retrait prématuré de l’armée israélienne du Liban en 2000, sont considérés dans le monde arabe comme des signes supplémentaires de la faiblesse de la dissuasion israélienne explique Gerald Steinberg (2001) 22 . D’après Sharad Joshi (2000) 23 , le nucléaire israélien s’inscrit dans le cadre d’une arme de dernier ressort, et dans cette optique, la dissuasion ne fonctionne pas vraiment. S’ajoute à cela, le facteur de la “non-visibilité“ des armes nucléaires de l’État hébreu que ses adversaires peuvent constater.

Notes
22.

Ibid.

23.

Sharad Joshi, “Israel Nuclear Policy : A Coast-Benefit Analysis”, Strategic Analysis, Vol. XXIII, N. 12, mars 2000.