La décision

Boîtes noires humaines

Contrairement à la physique, les boîtes noires humaines sont grises et non pas noires. Les informations ne peuvent que faire l'objet d'hypothèses qu’on n’est pas à même de tester. Ce qu'on entend par décision en sciences sociales (et dans les autres disciplines), concerne des phénomènes très distincts. Pour la plupart des écoles rationalistes-analytiques, la décision est définie comme : un choix entre plusieurs options. Pour d'autres, la décision concerne aussi le processus de sélection de buts et d'alternatives. Les approches cognitives traitent la décision comme le résultat d'un processus global de résolution de problèmes.

La modélisation qui désire savoir comment un décideur (individuel et collectif) prend une décision, doit s'intéresser à la façon dont le décideur modélise le monde et au savoir-faire subjectif et intersubjectif qui permet de traiter l’information. Pour beaucoup de chercheurs, une décision n'est qu'un choix. Par exemple, le processus de prise de décision comporte les éléments linéaires suivants : un processus de recherche pour découvrir des buts, la formulation d'objectifs exacts, la sélection d'alternatives pour accomplir ces objectifs, et enfin, l'évaluation des résultats. Une façon simple de définir un système est de lui attribuer une fonction de décision par rapport à un environnement. Un environnement peut être conceptualisé de différentes façons. Certains ne s'intéressent à l'environnement que dans la mesure où il permet de fixer quelques paramètres externes du système “ settings ”. Pour d'autres, l'environnement devient un facteur clé pour définir un système, c'est-à-dire que tout ce qui est à l'intérieur d'un sous-ensemble de l'environnement et qui peut faire des transactions, devient le système. La décision devient alors à la fois une fonction de l'input de l'environnement et une sortie output venant d'une boîte qui opère quelques transformations sur l'input.

Vu l’impossibilité d’étudier cette boîte de l’intérieur, les positions divergent quant à la façon de l'étudier. La méthode empirique la plus sûre est de traiter cette boîte ou machine de prise de décision, comme une boîte noire. C'est-à-dire d'inférer la nature de la boîte de décision en observant son comportement externe. Le désavantage de ce principled black-box modelling est la portée très courte des résultats empiriques. Le potentiel d'une boîte de décision va au-delà de ce que l'on peut observer dans un laps de temps. Les observations n'auront pas de grande valeur sans théorie sur le décideur. La même remarque est vraie pour l'environnement du décideur. Dès que le niveau d'équilibre de l’environnement change, les données dont il doit tenir compte changent aussi. Mais comment développer une théorie du décideur qui veut aller au-delà des banalités de la théorie du choix et qui se désintéresse de l'ensemble de la décision ? Les décisions ne peuvent pas être prises sans processus de décision, processus qui lui-même repose sur un traitement de l'information par un agent intelligent. Il est clair que ces boîtes de décision représentant des humains et des organisations ne sont pas accessibles comme certaines structures biologiques. Toutefois, on possède certaines informations valables sur les plans empiriques et théoriques.

Un bon exemple de recherche est celui de Irmtraud Gallhofer et Willem Saris (1979) 90 , qui porte sur l'argumentation de décideurs. On connaît le comportement du système à la sortie (les décisions prises), on possède des informations sur l'information que possédaient les décideurs, et on connaît la justification de la décision. Ainsi, sans savoir ce que pensaient réellement les décideurs pendant les processus de la décision, ces chercheurs tentent d’étudier de plus près et comprendre la décision politique. Parmi les premières théories du système, la cybernétique de Norbert Wiener (1961) 91 , était l’une des approches les plus intéressantes. Le fameux ouvrage Cybernetics or control and communication in the animal and the machine de Wiener (1948/61) 92 , fournit aux sciences sociales ( 93 ) de nouvelles métaphores que sont la communication, le traitement de l'information, le contrôle, le feed-back, l'homéostasie. Ce sont des notions qui ont eu aussi leur impact en science politique. Les termes modernes comme celui du feed-back ne sont qu'une nouvelle façon d'analyser un comportement téléologique. On y retrouve même la notion de but, qui n'était pas explicitement traité dans l'original de Wiener. Toutefois à partir de la notion du maintien de l'équilibre, on a nécessairement introduit les buts d'équilibre et de la survie et d'autres buts principaux que le système doit poursuivre pour se maintenir dans son environnement. L'apport important de la cybernétique a été : les notions de l'action continue dans un environnement et l'auto adaptation du système.

Notes
90.

Irmtraud N. Gallhofer, Willem E. Saris, “An Analysis of the Argumentation of Decision Makers Using Decision Trees”, Quality and Quantity, N. 13, 1979, pp. 411-430. Voir aussi à ce propos : Irmtraud N. Gallhofer, Willem E. Saris, Foreign Policy Decision-Making A Qualitative and Quantitative Analysis of Political Argumentation, Westport, Praeger Publishers, 1996. 296 pages. Voir aussi : Irmtraud N. Gallhofer, “A Decision Theoretical Analysis of Decisions of the Dutch Government in Exile During World War II”, Historical Social Research, N. 26, 1983, pp. 3-17; Irmtraud N. Gallhofer, Willem E. Saris, “Decision trees and decision rules in politics : the Empirical Decision Analysis Procedure”, in H. Montgomery and O. Svenson, Process and Structure in Human Decision-Making , London, John Wiley, 1989, pp. 293-311, et enfin, Irmtraud N. Gallhofer, Willem E. Saris, Three methods for analyzing decision-making using written documents, in H. Montgomery and O. Svenson, Process and Structure in Human Decision-Making , London, John Wiley, 1989b, pp. 99-123.

91.

Norbert Wiener, Cybernetics or Control and Communication in the Animal and the Machine , Cambridge, MIT Press, 1961.

92.

La cybernétique comme technique mathématique est difficilement applicable au social comme il le dit lui-même (1948/61, pp. 24-25) : “To begin with, the main quantities affecting society are not only statistical, but the runs of statistics on which they are based are excessively short. There is no great use in lumping under one head the economics of steel industry before and after the introduction of the Bessemer process” et “Thus the human sciences are very poor testing-grounds for a new mathematical technique.”

Norbert Wiener, Cybernetics, 1948, The Human Use of Human Beings, 1950, Ex-Prodigy, 1953, I Am a Mathematician, 1956, God & Golem, 1964.

93.

Toute chose, comme l’univers, fonctionne et peut être vu comme un grand ensemble de Feedback.