Première partie : l’historique

Le dôme du réacteur de Dimona. Photo Mordechaï Vanunu, 1986.
Le dôme du réacteur de Dimona. Photo Mordechaï Vanunu, 1986.

Chapitre I : le triangle Ben Gourion, Bergmann, Pérès

« Je n’ai pas dormi cette nuit même pas une seconde, je n’ai eu qu’une seule idée fixe : une attaque généralisée par les Arabes », confie Ben Gourion à l’un de ses proches Avner Cohen (1995) 175 .

En 1948, et en moins d’un an après la création d’Israël, les bases du programme nucléaire israélien sont jetées, et dès 1949, le professeur Israel Dostrovsky développe déjà un procédé de fabrication d’eau lourde (Stephen Green 1984, pp. 149-150) 176 , (Andrew et Leslie Cockburn, 1991) 177 , (Dan Raviv, Yossi Melman, 1990) 178 . Fruit d’une évolution particulière, Israël est aujourd’hui, un État à part dans la communauté internationale. D’abord, explique Emad Awwad, (1998) 179 , il revêt l’aspect d’un intrus dans la région face à tous les pays arabes. Il est créé pour réunir une population disséminée dans différents États du monde, et qui a subi une longue oppression. Enfin, note E. Awwad, il s’est implanté sur une terre où vivait déjà un autre peuple. Il est clair que les élites scientifiques et les politiques israéliens ont nourri, dès la fin des années quarante, certaines ambitions nucléaires. Comme le souligne Chaim Weizmann, (père du programme nucléaire israélien et premier Président de l’État hébreu de 1949 à 1952) « la science est l’arme toute-puissante d’Israël, elle est, - cette arme-, le réceptacle de notre force et la source de notre défense » (Fouad Jabber, 1986, p.16). Le père de la bombe israélienne est nommé Ernst David Bergmann note Richard H.S Crossman (1963, p. 333) 180 . Son père est un rabbin qui a fui l’Allemagne nazie et s’est réfugié au Royaume-Uni, puis aux États-Unis. Son nom est reconnu par la communauté scientifique après la création de l’État hébreu en 1948, lorsqu’il devient directeur du département de la chimie de WIS, Weizmann Institute of Science, à Rehovot au sud de Tel-Aviv, puis directeur de la Commission israélienne de l’énergie atomique créée en 1952. Bergmann est appuyé par les convictions de David Ben Gourion de se doter de l’arme nucléaire en utilisant les ressources naturelles en uranium et en eau lourde. Le triangle d’hommes est complet lorsque les deux croisent un jeune qui s’appelle Shimon Pérès. Il aura la charge de la mise en place des démarches politiques concrètes pour aboutir à la fabrication de la bombe. Ce jeune, surnommé le protégé de Ben Gourion, a 30 ans. Il est nommé directeur général du ministère de la Défense à la fin de l’année 1953. Ces trois hommes travaillaient à part égale pour trouver les alliés nécessaires en vue de la fabrication de la bombe. Ils étaient conscients dès le début de la mise en place de celle-ci ; ils avaient besoin d’un financement privé via les dons des juifs américains et européens qui partageaient le rêve d’une ultime arme de dissuasion pour Israël. Toute autre approche de ce sujet rendrait impossible de le garder en secret. Les ambitions de la bombe nucléaire israélienne, au début des années 50, -une période marquée par la guerre froide-, ne sont pas perçues par les États-Unis, qui, durant cette période, étaient préoccupés par la guerre coréenne ( 181 ) ainsi que par les conditions sociales et économiques en Europe -notamment l’implantation du parti communiste en France et en Italie-, écrit Shimon Pérès (1979, p. 185-201) 182 .

Malgré les atouts scientifiques des Israéliens, le programme israélien n’aurait probablement pas pu progresser rapidement sans l’aide de trois pays en particulier : les États-Unis, la France, et l’Afrique du sud. Selon de nombreuses sources, les scientifiques israéliens ont pu se passer d’effectuer des tests nucléaires, au moins sur ce qui a trait aux explosifs nucléaires de première génération (Seymour Hersh, 1991) 183 . Cela est dû au fait que les Israéliens -confiants dans l’expérience obtenue-, ont assisté aux tests nucléaires conduits par la France au Sahara en 1960 écrit Avner Cohen (1998). Le trio Ben Gourion, Ernst Bergmann et Shimon Pérès devient convaincu qu’un arsenal israélien indépendant peut offrir ce que le Président Eisenhower ne peut donner : le parapluie nucléaire. Seymour Hersh rapporte que Herman Mark ( 184 ), insiste sur le fait que sans Bergmann, il n’y aurait pas eu de bombe atomique israélienne. Selon les propos de Herman Mark, « il était en charge de toute activité nucléaire en Israël. Il était l’homme qui a complètement assimilé et compris ce qu’est la fusion nucléaire, puis il l’a expliqué à d’autres. » Seymour Hersh (1991, p. 26).

Notes
175.

Avner Cohen, “Most Favored Nation”, Bulletin of Atomic Scientists, Vol. 51, No. 1, janvier/février 1995, pp. 44-53.

176.

Stephen Green. Taking Sides: America's Secret Relations with a Militant Israel , New York, William Morrow, 1984, 370 pages.

177.

Leslie & Andrew Cockburn, Dangerous Liaison: The Inside Story of the US-Israeli Covert Relationship , New York, HarperCollins, 1991, 416 pages.

178.

Dan Raviv, Yossi Melman, Every Spy a Prince: The Complete History of Israel's Intelligence Community, Boston, Houghton Mifflin, 1990, 466 pages. (Dan Raviv, correspondant de CBS News à Londres, Yossi Melman, journaliste israélien).

179.

Emad Awwad, Les États-Unis et Israël : les limites du pouvoir, Défense Nationale, novembre 1998.

180.

Richard H. S. Crossman “The Prisoner of Rehovot”, in Chaim Weizmann : A Biography by Several Hands , New York, Authenium, 1963.

181.

De juin 1950 à juillet 1953.

182.

Shimon Pérès, From These men , New York, Wyndham Books, 1979.

183.

Seymour M. Hersh, The Samson Option: Israel's Nuclear Arsenal and American Foreign Policy , New York, Random House, 1991, 354 pages.

184.

Un chimiste autrichien, Doyen de Brooklyn Polytechnic Institute.