De Marcoule à Dimona

Au début des années 60, le réacteur de Dimona commence à prendre forme et les scientifiques israéliens -physiciens et techniciens-, travaillant depuis des années en France à Saclay et Marcoule, sont rappelés en Israël. Les scientifiques se sont vus proposer un double salaire ainsi que des appartements de fonction de sept pièces à Beersheba avec une prime de 50 000 dollars américains pour certains, ou encore la possession, pour d’autres, d’un appartement supplémentaire (Seymour Hersh, 1991) 224 . Les Français travaillant sur place ne peuvent pas envoyer des lettres directement en France. Le courrier est acheminé via une boîte postale en Amérique latine dans les deux sens. Les équipements sophistiqués nécessaires pour le réacteur sont rassemblés en France par des membres du Commissariat de l’énergie atomique, dans une des banlieues parisiennes, puis acheminés par voie de chemin de fer, et ensuite par voie maritime vers Israël (Avner Cohen, 1998) 225 . Dès 1957, à Beersheeba, une zone résidentielle est spécialement construite pour accueillir les ingénieurs français ainsi que des milliers d’ouvriers : des immigrés juifs venant du Maroc et d’Algérie appelés Sefardim ( 226 ). Ce sont sur eux que repose dorénavant une grande partie des gros travaux de construction de la centrale de Dimona. Des juifs venant d’Europe sont soigneusement recrutés pour mener les travaux scientifiques et bureaucratiques. Il y a eu un système de castes entre les employés, tant en ce qui concerne l’attribution du logement qu’en ce qui concerne les postes de travail, et que les Français ont été la caste la plus privilégiée (Seymour Hersh, 1991, p. 60) 227 . Un système de classes s’installe entre les différentes nationalités, les immigrés marocains et algériens sont en bas de l’échelle, puis viennent les Israéliens, les juifs d’Europe, et enfin en haut de l’échelle se trouvent les Français. Parmi eux, rapporte Seymour Hersh (1991, p. 60) 228 , se trouvent des antisémites, et des anciens collaborateurs de la Deuxième Guerre mondiale et l’un d’eux est même expulsé par les autorités car il affiche clairement son antisémitisme. Les Israéliens membres du Parti Communiste ou encore tous ceux qui ont de la famille en Europe sont simplement interdits de travailler sur le site de Dimona de peur que le secret ne soit dévoilé. Les Israéliens ont peur que les Soviétiques aient des informations sur ce qui se passe à Dimona, et la fin des années soixante est marquée par des affaires d’espionnage entre Moscou et Tel-Aviv. Ainsi, les soixante et un membres de l’ambassade soviétique à Tel-Aviv sont soupçonnés d’opérations d’Intelligence visant essentiellement la communauté scientifique israélienne (Seymour Hersh, 1991, p. 62). Seymour Hersh (1991, p. 66), écrit que les Israéliens ont à cette époque, au début des années 60, un but stratégique, celle de la fabrication de la bombe thermonucléaire, des missiles et des avions capables d’atteindre des cibles soviétiques.

La montée de sentiments de peur et la volonté de sécuriser au maximum la construction de la centrale de Dimona a incité Shimon Pérès à créer une unité d’intelligence spéciale appelée Office of Special Tasks. Cette unité est placée sous la direction de Binjamin Blumberg et rattachée au ministère de la Défense. Elle devient par la suite l’une des plus opérationnelles dans le monde de l’espionnage moderne (Dan Raviv et Yossi Melman, 1990) 229 . La tâche essentielle de cette unité d’intelligence est de protéger le site de Dimona contre l’espionnage et de recruter des scientifiques de haut niveau qui n’ont pas de relations de famille en Europe Occidentale. Cette unité réussit sa mission mais commet une erreur de taille en recrutant un certain Jonathan Pollard qui espionnait pour les comptes d’Israël aux États-Unis. Jonathan Pollard, emprisonné aux États-Unis, depuis 1985, est accusé d'avoir fourni aux Israéliens le Rasin, (Radio Signal Notations), l'agence américaine d'écoutes téléphoniques. C’est un manuel de base de données en dix volumes de la NSA (National Security Agency) et du CSS (Central Security Service). Il a aussi fourni des informations issues du SigInt (Signal Intelligence), lié au (American Geosynchronous SIGINT Satellites), fournissant ainsi les codes d'accès et de cryptage du Rasin. Il y a eu depuis, d’autres révélations comme celles de la Revue Insight comme en mai (2000) 230 et en janvier (2002) 231 . La Revue Insight, quant à elle, a longuement évoqué une enquête “secrète” de la division 5 du FBI consacrée aux écoutes téléphoniques israéliennes ciblant la Maison Blanche, le département d'État et le Conseil National de Sécurité. Il y a eu aussi, en août 2004, les révélations de CBS ( 232 ), selon lesquelles le Pentagone aurait été sujet d’espionnage par les Israéliens.

Notes
224.

Ibid.

225.

Avner Cohen, Israel and the Bomb , Colombia University Press, 1998.

226.

Sefardim est LE pluriel de sefardi. Ce mot désignant en hébreu la communauté juive vivant en péninsule ibérique, l’Afrique du Nord, l’Irak et la Syrie.

227.

Seymour M. Hersh, The Samson Option : Israel's Nuclear Arsenal and American Foreign Policy, New York, Random House, 1991, 354 pages.

228.

Ibid.

229.

Dan Raviv, Yossi Melman, Every Spy a Prince: The Complete History of Israel's Intelligence Community , Boston, Houghton Mifflin, 1990, 466 pages. (Dan Raviv, correspondant de CBS News à Londres, Yossi Melman, journaliste israélien).

230.

J. Michael Waller, Paul M. Rodriguez,Flashback: FBI Probes Espionage at Clinton White House”, Insight29 mai 2000.

231.

J. Michael Waller, Paul M. Rodriguez,Flashback: FBI Probes Espionage at Clinton White House”, Insight7 janvier 2002.

232.

FBI probes Pentagon spy case, CBS News, 28 août 2004, 60 minutes correspondant Lesley Sthl.