Les travaux de construction de Dimona

Les Israéliens ont-ils appris la leçon de l’opération de la CIA lorsqu’au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale, ses équipes, opérant en Allemagne de l’ouest, menèrent une opération de construction d’un tunnel donnant accès à Berlin Est. Ce tunnel, creusé de l’Ouest vers l’Est, en évacuant les terres dans des containers militaires. L’opération est compromise lorsque l’espion soviétique George Blake, qui était, en même temps, un officier de l’Intelligence britannique révèle le secret au KGB. Lorsque les travaux de Dimona commencent vers la fin de l’année 1957, les Israéliens, qui ont la certitude que les U-2 les surveillent, ont, dès le début des travaux de creusage en 1958, réalisé les évacuations des terres dans des camions militaires couverts. On parle de deux sites souterrains à Dimona dont une usine nécessaire, sur le plan chimique, à la production de plutonium et par la suite à la fabrication de la bombe.

La plus grande évidence sur les intentions des Israéliens se manifeste par les conclusions des experts en analyse d’images selon lesquelles il y a une grande similitude entre le réacteur nucléaire de Marcoule en France et les bâtiments de Dimona. C’est ce qui explique peut-être que le site de Marcoule est survolé par les avions civils américains de façon permanente durant la fin des années 50. Ces avions sont équipés de caméras pour la prise de vues. Par ailleurs, des photos sont prises par des diplomates et des officiers américains travaillant à l’ambassade des États-Unis à Paris et sont analysées par la CIA. En 1959, note Avner Cohen (1995) 266 , les Américains ont la certitude que le réacteur ainsi que le processeur chimique de Marcoule tournent à plein régime. Il est donc clair que les Israéliens suivent le modèle français. Et le site de Dimona est conçu de façon similaire à celui de Marcoule dans le sud du Rhône en France. L’usine du processeur chimique est séparée du réacteur principal et les deux sites sont reliés par un tunnel. Lorsque la construction du réacteur de Dimona se termine en 1960, les photos des avions U-2 n’offrent plus de nouvelles informations du site. La CIA envoie des agents pour photographier le site de près afin de savoir si le deuxième site est destiné à un processeur chimique. Les Israéliens comprennent le jeu et plantent des arbres plus hauts que le bâtiment cachant ainsi toute prise de vue extérieure. À cela s’ajoute un paramètre de sécurité infranchissable. Ce jeu du chat et de la souris se poursuit durant les dix années suivantes. Les Israéliens agrandissent le site et les administrations américaines n’auront pas de certitude quant à la vraie raison de la construction. En revanche, les experts du service CIA-NPIC, (National Photographic Interpretation Center), Lundahl et Brugioni n’ont plus aucun doute. Pour eux, Israël va vers la fabrication de la bombe. Ils n’ont plus de doute non plus sur le fait que l’administration américaine dispose de ces informations mais préfèrent regarder dans la direction opposée. À Washington comme à Tel-Aviv, le dossier dépasse largement les estimations américaines et va au-delà de la simple question de prolifération (Seymour Hersh, 1991, p. 57) 267 . Les décideurs israéliens sont alors divisés au sujet du projet de la bombe atomique. C’est une guerre interne car le projet est assiégé par des personnes hostiles depuis son tout début. Les adversaires de ce projet tiennent l'argument selon lequel le projet est une erreur. Pour eux, le financement qui dépasse l’imagination peut servir à l’achat de matériels militaires conventionnels dont l’État hébreu a tellement besoin. Ce projet mobilise aussi des scientifiques et des techniciens dont Israël manque dans d’autres secteurs, -comme l’industrie-, pour les développer (Fuad Jabber, 1971) 268 .

Notes
266.

Avner Cohen, “Most Favored Nation”, The Bulletin of Atomic Scientists, January/February, 1995 Vol. 51, No. 1, 1995.

267.

Seymour M. Hersh, The Samson Option: Israel's Nuclear Arsenal and American Foreign Policy , New York, Random House, 1991, 354 pages.

268.

Fuad Jabber, Israel and Nuclear Weapons, Present Option and Future Strategies , London, Chatto & Windus, 1971.