Le réacteur et ses fins pacifiques

L’usine connue comme celle de textile est en réalité un réacteur nucléaire. Il faut alors attendre plusieurs années pour que l’on passe d’une usine de textile ou encore d’une fabrique agricole à l’annonce officielle de la vraie nature du réacteur de Dimona. C’est le tabloïd britannique, le Daily Express, publie un article, le 16 décembre 1960, dans lequel on lit que la France aide Israël à la fabrication de la bombe atomique. C'est alors que Ben Gourion reconnaît que Dimona est un réacteur nucléaire (Pierre Péan, 1991, p. 22) 290 . Cet article écrit par Chapman Pincher, -un proche des services d’Intelligence ainsi que du milieu nucléaire britanniques-, s’appuie sur des informations obtenues par l’Intelligence américaine et britannique. Selon les sources du Daily Express, les Israéliens sont en phase d’accomplir la construction de leur centrale nucléaire ( 291 ). Quelques jours après, le New York Times du 19 décembre (1960) 292 , révèle que l’usine de textile n’est qu’un réacteur nucléaire. Cet article écrit par le reporter John W. Finney, a comme source le directeur de l’AEC, John Alex McCone. Ce dernier démissionne quelques jours plus tard en direct à la télévision. Le 2 décembre 1960, avant que les Israéliens annoncent la nature du site de Dimona, le Department of State possède dès à présent des informations selon lesquelles Israël a des installations nucléaires secrètes, écrit Avner Cohen (1998, pp. 81-85) 293 .

À la mi-décembre, l’affaire Dimona devient une affaire publique. Le New York Times publie l’information le même jour que la parution de l’autre article du Daily Express à Londres, le 16 décembre (1960, p. 2) 294 . Le 21 du mois, Ben Gourion annonce qu’Israël construit un réacteur de 24 MW à des fins pacifiques ( 295 ). En Israël, au bureau du Premier ministre, on soupçonne que la fuite des informations concernant Dimona vers les Britanniques est orchestrée par quelques hommes proches du général de Gaulle. Face à cette situation, Tel-Aviv décide de parler de Dimona. Le but immédiat de la manœuvre des Israéliens -dirigée par Pérès- est de garder Dimona loin de toute polémique, car n’importe quel autre débat sera dévastateur et aboutira à une série de protestations internationales. Quelques jours plus tard et devant la Knesset, Ben Gourion explique le 21 décembre 1960, que Dimona, avec ses 24 mégawatts, n’est qu’un réacteur nucléaire dédié à des objectifs civils. L’autre partie du site, ajoute le Premier ministre, est dédié à un institut de recherche scientifique pour les zones arides et il va être ouvert à des étudiants d’autres pays. Ben Gourion répond ainsi aux questions concernant les rapports publiés en Europe et aux États-Unis en les qualifiant de faux et non fondés, et il les nie en bloc. Aucun député ne pose la question concernant les raisons pour lesquelles la construction de ce réacteur est entourée de secret. Les déclarations de Ben Gourion ne sont pas contredites et le débat à la Knesset sera la seule opportunité où les députés auront pu entendre les explications du Premier ministre. Washington qui souhaite avoir des informations concernant la coopération franco-israélienne, accepte les explications de Ben Gourion. C’est le 20 décembre 1960, -au lendemain de la déclaration de Ben Gourion-, que la Maison Blanche annonce accepter, devant la presse, les explications données par le Premier ministre israélien.

Washington fait valoir que « le gouvernement israélien a donné des assurances claires en ce qui concerne son nouveau réacteur nucléaire qui sera dédié spécifiquement à la recherche et au développement des connaissances et répondra aux besoins de l’industrie, de l’agriculture, la santé et la science. Israël a promis d’accueillir des étudiants et des scientifiques des pays amis. » Cette déclaration rendue publique par la Maison Blanche précise que « c’est gratifiant de noter que le fait de rendre public le programme nucléaire israélien signifie qu’il ne représente aucune inquiétude. » Cette déclaration est approuvée par le Président Eisenhower. Elle est, par la suite, envoyée à toutes les ambassades des États-Unis à travers le monde, le 22 décembre 1960 (Annexe 22) 296 . Le 29 décembre le département d’État reçoit un télégramme de l’Ambassade de Tel-Aviv dans lequel on suggère de formuler une demande de visite du site de Dimona (Annexe 23) 297 . Ces deux documents sont partiellement rendus illisibles. D’après Seymour Hersh (1991, p. 80) 298 , l’acceptation de Washington signifie que l’administration Eisenhower tempère l’atmosphère et la notion de “tempérer l’atmosphère” va être, durant des décennies, la ligne politique des États-Unis envers la bombe israélienne. Christian Archibald Herter, le 6 janvier 1961, et lors des adieux de en tant que Secrétaire d’État américain, il organise une rencontre à huis clos avec le comité des Relations étrangères du Sénat (déclassé en avril 1984) 299 . Le Secrétaire Christian A. Herter aborde le volet de Dimona et le décrit comme « un nouvel élément de perturbations au Moyen-Orient. » Le sénateur conservateur républicain d’Iowa Bourke B. Hickenlooper, alors s’insurge et déclare « je pense que les Israéliens nous ont menti, ils ont détourné et falsifié les faits, ils ont construit un réacteur sans nous en informer. » Bourke B. Hickenlooper parle en tant que co-Président du Comité de l’énergie atomique du Sénat. Il termine son intervention en disant : « je ne vous demande pas de réponse, Monsieur le Secrétaire d’État, car personne de l’administration Eisenhower ne peut maintenant agir, j’espère que je me trompe. » (Seymour Hersh, 1991, p. 81), (Richerd J. Barnet, 1983, p. 179) 300 . L’administration Eisenhower quitte le pouvoir suite aux élections, et le dossier de Dimona est laissé pour le nouveau locataire de la Maison Blanche, John F. Kennedy.

Notes
290.

Pierre Péan, Les deux bombes , Paris, Fayard, 1991.

291.

Chapman Pincher, “Israel May Be Making an A-Bomb”, Daily Express, p. II, 16 décembre 1960.

292.

John W. Finney “U.S. Hears Israel Moves Toward A-Bomb Potential”, New York Times, p. I, 19 décembre 1960.

293.

Avner Cohen, Israel and the Bomb , New York, Colombia University Press, 1998.

294.

“Israel May be Making an H-Bomb”, London Daily Express, 16 décembre 1960.

295.

“Israel’s nuclear program”, Nuclear Weapons Archive, décembre.1997.

296.

Annexe 22, Incoming Telegram 577, Department of State, Mémorandum de conversation, 24 12 1960, de l’ambassade à Tel-Aviv au State Department concernant la déclaration du Premier Ministre Ben Gourion à la Knesset. Source : National Security Archive.

297.

Annexe 23, Incoming Telegram 590, Department of State. From Tel-Aviv to Secretary of State, 28 d écembre 1960. Source : The Dwight D. Eisenhower Presidential Library, voir aussi : Avner Cohen, Israel and the Bomb , 1998, pp. 91-93.

298.

Seymour Hersh, The samson Option , New York, Random House, 1991.

299.

The Senate Foreign Relations Committee (Historical Series), Vol. XIII, Part I, Published Excutive Sessions of the Senate Foreign Relations Committee, avril 1984.

300.

Richerd J. Barnet Alliance America-Europe-Japan Makers of the Postwar World , New York, Simon & Schuster, 1983.