Ben Gourion fait l’annonce

À la mi-décembre, la question de Dimona fait soudainement surface. Les élections ont déjà eu lieu et sont remportées par le démocrate Kennedy. Dans la dernière ligne droite avant la passation de pouvoir, et lors d’une réunion de briefing par la CIA, en présence du Président Eisenhower et du Secrétaire d’État Herter (une partie du rapport est rendue illisible) (Annexe 35) 332 . Dans ce rapport le Président pense qu’« il n’est pas nécessaire de demander une inspection internationale de Dimona par l’AIEA, (page 2, §2). McCone, Président de la Commission d'Énergie Atomique suggère une inspection international mais le Président se montre confiant (page 1, § 3). Le Président souligne par ailleurs qu’« il est d’une grande importance de parler de ce sujet d’une seule voix ( 333 ). Il est important de dire que, jusqu’à présent, nous n’avions pas d’informations officielles. Nous avions simplement un rapport daté d’il y a juste dix jours et c’est la raison de notre inquiétude » signale le Président Eisenhower (dernier paragraphe du rapport). Le 16 décembre, note Avner Cohen (1998), la CIA publie un rapport - (SNIE) Special National Intelligence Estimate au sujet de Dimona et informe immédiatement le Conseil de sécurité nationale du contenu du rapport.( 334 ). Quelques jours plus tard, le Secrétaire d'État Herter appelle l'Ambassadeur israélien Harman et lui fait part de ces informations en demandant une explication. L’ambassadeur israélien à Washington explique qu’il n’a pas d’information et qu’il va appeler Tel-Aviv à ce sujet. Washington s’adresse alors à Tel-Aviv et à Paris, et demande des informations à propos de la centrale nucléaire de Dimona. Le 18 décembre 1960, après la publication du rapport par la CIA, John McCone, Président de la AEC, confirme publiquement la découverte de Dimona, dans une interview pour le magazine télévisé “Meet the Press” (Avner Cohen, 1995) 335 . Malgré tout, le lendemain, Ernst David Bergmann, directeur de la Commission israélienne de l’énergie atomique nie en bloc ces informations en les qualifiant de flatteuses, mais non fondées (New York Times) 336 .

Les premières confirmations officielles de ces informations parues dans la presse américaine viennent d’abord de Paris, puis de Tel-Aviv. En France, c’est une déclaration faite par le Ministère français des Affaires étrangères. En Israël, c’est l’Ambassade américaine. Les deux déclarations font référence à l’aspect pacifique et civil de la centrale israélienne. L’ambassade souligne les besoins industriels, agricoles, médicaux et scientifiques. Le quai d’Orsay insiste sur le fait que Paris a pris toutes les précautions pour que la centrale soit dédiée à des fins civiles (New York Times) 337 . Ces déclarations n’apaisent pas l’atmosphère, mais au contraire exercent une pression sur les dirigeants de l’État hébreu à propos de ces révélations (New York Times, 22 et 23 décembre 1960) 338 . Le 21 décembre, le Premier ministre israélien Ben Gourion confirme à la Knesset, après un long silence, qu'Israël construit un deuxième réacteur nucléaire. Le Premier ministre insiste sur le fait qu'il est alloué à des fins pacifiques (The New York Times, 22 décembre 1960), (The Jerusalem Post, 22 décembre 1960) 339 . « Le développement du désert de Néguev -que nous considérons comme notre tâche principale pour la prochaine décennie- exige une large et diverse recherche scientifique. À cette fin, nous avons établi à Beersheba un institut pour la recherche scientifique dans les zones arides du désert. Nous sommes, écrit Ben Gourion, également engagés actuellement dans la construction d'un réacteur pour les recherches scientifiques d'une capacité de 24.000 kilowatts thermiques, qui serviront les besoins de l'industrie, de l'agriculture, de la santé et de la science. Ce réacteur sera également utilisé pour former les scientifiques et les technologues israéliens pour la future construction d'une centrale nucléaire au cours d'une période présumée entre 10 et 15 ans », explique le Premier ministre aux députés de la Knesset (Jerusalem Post, 22 décembre 1960) 340 . Le site de Dimona, ex-usine de textile, devient dès lors connu officiellement en tant que réacteur nucléaire. Quelques jours plus tard, le 9 janvier 1961, (dix jours avant l’arrivée de l’administration Kennedy à la Maison Blanche), un meeting a lieu pour discuter du sujet de Dimona.

Ce meeting rassemble Lewis Jones, l’assistant du Secrétaire d’État, Philip J. Farley, l’assistant spécial du Président Eisenhower, et les Sénateurs Gore, Hickenlooper, Fulbright, Carlson, Sparkman. Dans ce meeting, le Sénateur Gore note sa promesse au département d’État de ne pas rendre public le contenu de la rencontre, vu le caractère sensible du sujet du réacteur israélien (Annexe 39) 341 . Le 19 janvier 1961, le Department of State informe le Comité de l’Énergie atomique du Sénat que la centrale de Dimona ne représente pas d’aspects militaires (Annexe 19) 342 . Mais dès la fin du mois de janvier 1961, la nouvelle administration multiplie les réunions afin de trouver une issue concernant le réacteur israélien (Annexe 37) 343 , et (Annexe 38) 344 . Selon le rapport de l’US Intelligence Board daté du 31 janvier 1961 (Annexe 21) 345 , c’est en 1955, et dans le cadre du programme américain “l’Atome pour la Paix” que les États-Unis se sont engagés à aider Israël à développer son programme d’Énergie atomique. Durant l'été, et vers la fin de 1960, des rumeurs courent au sein de l’Ambassade américaine à Tel-Aviv, selon lesquelles les Français collaborent avec les Israéliens en vue de la construction d'un autre grand réacteur sur le site de Dimona, près de Beersheba, situé dans la partie Nord du désert de Néguev.

Les raisonnements israéliens, souligne le rapport de l’USIB, sont largement justifiés. Le souci de notre administration est double : a) poursuivre notre législation conformément à la politique ferme des États-Unis contre la prolifération des armes nucléaires ; et b) l'acquisition par Israël des armes nucléaires aurait des répercussions graves dans le Moyen-Orient. La moindre d’entre elles, serait une probable présence d’armes nucléaires soviétiques sur le sol des ambitieux voisins Arabes. Après que les Agences d'Intelligence aient établi, le 2 décembre 1960, qu'une significative installation nucléaire est en cours d’achèvement près de Beersheba, le Secrétaire d’État Christian A. Herter, le 9 décembre, appelle l'Ambassadeur israélien Harman. Ce dernier s'est engagé à obtenir des informations complètes de son gouvernement. Après un certain nombre d'échanges, le Premier ministre Ben-Gourion donne des assurances fermes et catégoriques, par des rapports appropriés, qu’Israël ne dispose pas de projets pour développer des armes nucléaires (Annexe 33) 346 . Mis à part les précautions militaires normales prises, Ben Gourion indique que, « les raisons de l’extrême secret entourant le projet israélien de Dimona sont dues à la crainte israélienne que les États arabes boycottent ou prennent des mesures de rétorsion à l’encontre des sociétés ou même des pays étrangers aidant le projet. »

Notes
332.

Annexe 35, Memorandum of Conference with the President, 19 décembre 1960. (Rédigé le 19 janvier 1961).Source : D. Eisenhower Liberary.

333.

Dernier paragraphe de la deuxième page.

334.

Memorandum of Discussion at the 470th Meeting of the National Security Council, December 8, 1960, Foreign Relations of the United States, 1958-1960, Volume XIII, Washington, D.C., ; Government Printing Office, 1992, pp. 391-392. Voir aussi : 469th Meeting of NSC, December 8, 1960, p. 24 & p. 6, attachments, (NATO, military programs, USSR and Communist China, Laos, Israel and Korea).

335.

Avner Cohen, “The Most Favored Nation”, The Bulletin of Atomis Scientists, Janvier/Février 1995, Vol.51, No.1, 1995.

336.

“Israel Denies Reports,” New York Times, 19 décembre 1960.

337.

“Peaceful Aims Affirmed,” New York Times, 20 décembre 1960.

338.

Dana Adams Schmidt, “Israel Assured U.S. on Reactors,” New York Times, 22 décembre 1960.

Voir aussi : Alvin Schuster, “Israel Satisfied U.S. on News of Reactor,” New York Times, 23 décembre 1960 et William L. Laurence, “Israel's Reactor,” New York Times, 25 décembre 1960.

339.

Ben Gurion Explains Project, The New York Times, 22 décembre 1960.

340.

La traduction anglaise du discours de Ben Gourion à la Knesset est publié par The Jerusalem Post, paru le 22 décembre 1960. Pour un résumé voir : “Ben Gurion Explains Project,” New York Times, du 22 décembre 1960.

341.

Annexe 39, Foreign Relations, 1961-1963,Volume XVII, Near East, 1961-1962, Released by the Office of the Historian. Documents 1-23- 5. Memorandum of Conversation. Jones-Senators meeting. Washington, January 9, 1961. Source : Department of State. Central Files, 984A.1901/1-961

342.

Annexe 19, Letter from William Macomber Department of State, to James T. Ramey, Senate Joint Commitee on Atomic Energy. 19 janvier 1961. Source : The Dwight D. Eisenhower Presidential Library.

343.

Annexe 37, Memorandum From Secretary of State Rusk to President Kennedy, Washington, January 30, 1961, SUBJECT: Israel's Atomic Energy Activities Source : John F. Kennedy Library, POF, Box 119a.

344.

Annexe 38, Memorandum of Conversation , Kennedy-Reid meeting : aspects of U.S. relations with Israel, Washington, January 31, 1961. U.S. Department of State, Central Files, 884A. 1901/1-561. Foreign relations, 1961-1963, volume XVII, Near East. Publiés par : Office of historian documents ; Memorandum of Conversation, Kennedy-Reid meeting: aspects of U.S. relations with Israel. Washington, January 31, 1961. Source : Department of State. NEA/NE Files: Lot 63 D 33.

345.

Annexe 21, Post-Mortem on SNIE 100-8-60 :Implications of the Acquisition by Israel of a Nuclear Weapons Capability.” 31 janvier 1961. Source : United States National Security Archive.

346.

Annexe 33, “Summary of Additional Recent Information on Israeli Atomic Energy Program,” enclosed in a letter from Assistant Secretary of State William S. Macomber to James T. Ramey, Executive Director of the Joint Committee on Atomic Energy, U.S. Congress, Jan. 19, 1961. Source : National Security Archives (released in 1991 pursuant to Freedom of Information Act request).The Dwight D. Eisenhower Presidential Library. Voir aussi : Avner Cohen, Israel and the Bomb , 1998, pp. 87-89. (La passation du pouvoir entre Eisenhower et Kennedy a lieu le 20 janvier 1961. De multiples rapports d’information sont disponibles à Washington depuis plusieurs années sans être pris en considération. Le rapport de l’administration Eisenhower et daté du 19 janvier 1961, (Annexe 19), contient les détails des derniers contacts avec les Israéliens au sujet de Dimona.)