La transition (1960-1961)

D’après Avner Cohen (1998) 361 , la CIA a conclu, au milieu des années 60, que les Israéliens sont en phase très avancée dans le développement de leur programme nucléaire militaire. Pour la CIA, note Avner Cohen, les Israéliens ont, dans ce domaine, poursuivi la politique de fait accompli et la CIA présente alors son rapport dans lequel on lit que le programme nucléaire israélien était irréversible. Dans ce rapport, on trouve l’allusion à une erreur dans les conclusions des rapports des experts américains lors de leur visite de Dimona (Annexe 21) 362 . Le 8 décembre 1960, le rapport de la CIA stipule que les activités de Dimona sont douteuses et avertit que les Israéliens sont sur la voie de la prolifération. Le Bureau de la CIA à Tel-Aviv, en 1960, notifie Washington que le programme nucléaire israélien est dorénavant établi et qu’il est irréversible (Federation of American Scientists) 363 . Le rapport du 31 janvier 1961, (Annexe 21) 364 , fait référence, dans son premier paragraphe, à des informations d’Intelligence obtenues entre août et novembre 1960. Il souligne que ces informations donne lieu à un aspect du secret entourant le site et que le réacteur va produire du plutonium militaire. Le rapport (Post-Mortem on SNIE 100-8-60), est élaboré suite à la demande urgente du nouveau Président Kennedy pour trouver des explications à la défaillance de la CIA au sujet de Dimona. Un document partiellement rendu non lisible et daté du 19 décembre 1960, relate le contenu d’une conversation entre le Président Eisenhower et ses conseillers au sujet de la découverte du Dimona. Le but de la réunion est de formuler une politique sur le programme nucléaire israélien. Le Secrétaire d’État Christian A. Herter note que, selon les informations dont les États-Unis disposent, Israël est engagé dans la construction d’un réacteur depuis 1958. Ce réacteur est « au moins dix fois plus puissant que prévu. » La conception de celui-ci n’apparaît pas pour la production de l’énergie mais plutôt pour la production de plutonium. Par conséquent, il fournirait potentiellement à Israël “des armes.”. Côté français, les diplomates français n'ont fourni aucune information à Christian A. Herter et promettent de s’adresser à ce propos à Paris. Cette conversation rend évident le fait qu'une fois Dimona construit, les États-Unis se rendent compte de sa présence. Washington a un petit doute quant au vrai but du projet (Avner Cohen, 1998, pp. 87-89). Le 20 décembre 1960, Ben Gourion en personne délivre l’information et annonce que la France a aidé Israël à la construction de la centrale de Dimona. Le 5 janvier, un télégramme est envoyé à ce sujet de l’ambassade de Tel-Aviv vers Washington ( 365 ). Ben Gourion s’apprête à annoncer la nouvelle. Etant donné l'imminence de l’émergence de ce sujet sur la scène des relations entre Tel-Aviv et Washington et peut-être sur la scène internationale, une réunion est organisée afin de clarifier le terrain. Le Président Eisenhower, dans sa réaction du 12 janvier 1961, ne fait qu’une allusion d’ordre financier. Il estime que le projet pourrait coûter entre 100 à 200 millions de dollars. Dans cette même réunion, le document montre qu’Allen W. Dulles, directeur de la CIA, se réfère explicitement aux efforts d’Israël visant à faire passer la grande centrale pour le petit réacteur fourni par les États-Unis (Annexe 35) 366 . Par ailleurs, ce document daté du 12 janvier 1961, ne montre pas si le Président Eisenhower connaît l’existence de Dimona avant cette date, et avant que cette réunion officielle n’ait lieu. On doit également se rappeler que l'administration Eisenhower vit son dernier mois à la Maison Blanche et n’a pas clairement cherché à définir une politique claire vis-à-vis ce sujet. La semaine suivante, un télégramme de l’Ambassade américaine à Tel-Aviv souligne les assurances officielles de la part du gouvernement israélien sur le but pacifique de Dimona. Malgré le fait que le doute règne au sein de la Maison Blanche, du département d’État et de la CIA, Washington, qui sent le mensonge israélien, ne laisse aucun document officiel concernant des recommandations pour la nouvelle administration. Les seules préoccupations sont dites officieusement lors de la cérémonie de passation de pouvoir entre Eisenhower et Kennedy le 20 janvier 1961. Le dernier rapport entre les mains de l’administration Eisenhower est daté de la veille ; le 19 janvier 1960. Le rapport est remis le dernier jour de l'administration Eisenhower au Comité mixte sur l'Energie Atomique. Ce document de quatre pages est un résumé de toutes les réponses que l'administration a reçues d'Israël au sujet du réacteur de Dimona. Ce rapport est le document officiel que l'administration Eisenhower transmet au nouveau locataire de la Maison Blanche, sur la centrale israélienne. Le comité des Relations étrangères du Sénat s’est alors réuni deux fois entre le 9 et le 19 janvier pour discuter, du dossier Dimona ( 367 ). Une copie du compte rendu de cette réunion est envoyé uniquement à la CIA et à l’AEC (Atomic Energy Commission). Il n’y a pas de copie pour la Maison Blanche ni pour le Department of State ( 368 ).

Notes
361.

Avner Cohen Israel and the bomb, New York, Columbia University press, 1998, 470 pages.

362.

Annexe 21, Post-Mortem on SNIE 100-8-60 : “Implications of the Acquisition by Israel of a Nuclear Weapons Capability.” 31 janvier 1961. Source : United States National Security Archive. Ce rapport de 17 pages est la réponse à la demande de Kennedy formulée trois jours auparavant (Annexe 20). Ce document est le premier qui avertit clairement que les Israéliens sont sur le point d’achever un réacteur nucléaire. Ce rapport détaillé, met en évidence que le réacteur est en construction, en collaboration avec la France depuis 1956 (point 3 de la conclusion) et que les éléments concernant ce sujet sont disponibles auprès des services d’Intelligence depuis avril 1958 (point 3a de la conclusion).

363.

“Weapons of Mass Destruction, Israel’s Nuclear Weapons’’, Federation of American Scientists.

364.

Ibid.

365.

Document non déclassé, Telegram 626 From the Embassy in Israel to the Department of State, Tel Aviv, January 5, 1961, 6 p. m. Source : Department of State, Central Files, 884A.1901/1-561. Secret; 13 pages of source text not declassified.

366.

Annexe 35, Memorandum of Conference with the President, 19 décembre 1960. (Rédigé le 19 janvier 1961). Source : D. Eisenhower Library.

367.

Memorandum of Conversation. Foreign Relations, 1961-1963, Volume XVII, Near East, 1961-1962. Washington, January 9, 1961. Source : Department of State, Central Files, 984A.1901/1-961. Secret. Drafted by Jones (NEA).

368.

Letter From the Assistant Secretary of State for Congressional Relations (Macomber) to the Executive Director of the Joint Congressional Committee on Atomic Energy (Ramey), Washington, January 19, 1961. Source : Department of State, Central Files, 884A.1901/1-1961. Secret. Drafted by Farley (S/AE) on January 17 and cleared by Meyer (NEA/NE) and Schnee (H). Copies of the letter and its enclosures were sent to the Atomic Energy Commission and the Central Intelligence Agency.