L’inévitable prolifération

Alors que les peurs règnent à Washington de voir, à l’horizon 1975, le monde passer de 4 à 15, voire 20 puissances nucléaires ( 369 ), le 35ème Président des États-Unis est le premier qui entre à la Maison Blanche en étant personnellement convaincu que la possession des armes nucléaires par d’autres États crée un monde plus dangereux et atteint négativement l’influence des États-Unis ( 370 ). Il se rend compte que le problème de la prolifération est prioritaire et nécessite une décision alors que la technologie et la connaissance en matière nucléaire sont devenues de plus en plus disponibles, moins chères et donc abordables. Kennedy pense alors qu’il est de l'intérêt américain d’imposer une action décisive contre la prolifération nucléaire, en dehors des quatre puissances (y compris la France) qui possèdent dorénavant de telles armes. C’est seulement deux mois avant son arrivée à la maison Blanche, que l’administration Eisenhower demande à Paris des clarifications concernant la coopération franco-israélienne dans le domaine nucléaire (Annexe 30) 371 . Le sujet de la centrale nucléaire de Dimona est dès lors sur l’agenda de discussions bilatérales entre Washington et Londres (Annexe 46) 372 . L'importance de la recherche concernant la manière dont l’Intelligence américaine a ignoré le cas israélien va bien au-delà de l’État d’Israël lui-même (Annexe 26) 373 . Les conclusions aboutissent à un constat considérable : le développement des armes nucléaires par d'autres pays avec un potentiel technique peut également l’être dans le secret. C'est la difficile tâche de l'administration Kennedy, celle de s'assurer qu'une telle erreur d'Intelligence ne se produise pas. Le fait que les États-Unis manquent, durant les années 60, d'une politique globale et cohérente vis-à-vis de la non-prolifération, incite la communauté internationale à ne pas considérer pas qu’une acquisition des armes nucléaires par un État est une violation des norme internationales. À cette date, il n'en existe aucune interdisant la prolifération nucléaire. Le Secrétaire d'État américain, Allen Welsh Dulles reconnaît, explique Avner Cohen (1998) 374 , qu’en l’absence de raisons légales, il n’est donc pas possible pour les États-Unis d’agir et d’empêcher un autre État, grand ou petit, de poursuivre et de développer des armes nucléaires. Notons qu’en dehors de l’Union soviétique et des États-Unis, seuls le Royaume-Uni et la France, -deux alliés de Washington- ont alors des possibilités de développer l’arme nucléaire. Ces deux pays considèrent que le programme nucléaire et son accomplissement sont une question de prestige et une fierté nationale ainsi qu’une confirmation de leur statut de grande puissance. Entre les Grands, il y a donc là un sens tacitement donné à ce fait : tout pays techniquement avancé et économiquement capable, peut suivre cette nouvelle tendance. La prolifération est alors vue comme probablement inévitable pour ceux qui le peuvent.

Notes
369.

Public Papers of the Presidents of the United States: John F. Kennedy (Washington, D.C, U.S. Government Printing Office, 1964), p. 280.

370.

Foreign Relations of the United States, 1961-1963 (FRUS), Vol. 18, Near East, 1962-1963

Washington, D.C.: Government Printing Office, 1995), pp. 432-433 et 435.

371.

Annexe 30, U.S. Department of State, Central Files, 884A. 1901/1-561. Foreign relations, 1961-1963, volume XVII, Near East, 1961-1963, Publiés par : Office of historian documents.

372.

Annexe 46, US-UK Bilateral Talks; The Middle East and the Arab-Israeli Problem. Source : Department of State, Central Files, 684A.86/2-1361. Confidential. Drafted by Dozier (EUR/BNA) on February 15 and cleared by Meyer (NEA).

373.

Annexe 26, Memorandum From Secretary of State Rusk to President Kennedy, Washington, January 30, 1961. Source : Department of State, Central Files, 884A.1901/1-3061. Secret. Drafted by Meyer (NEA/NE). Subject : Israel's Atomic Energy Activities Foreign Relations Series Volume Summary, 1964-1968, Volume XVIII, Arab-Israeli Dispute, 1964-67 N. 5.

374.

Avner Cohen, “Israel and the Evolution of the US Nonproliferation Policy, The Critical Decade, 1959-1969”, Center for Nonproliferation Studies, The Nonproliferation Review, Vol: V, N° 2, hiver 1998.