Chapitre V : Johnson

Shai Feldman explique que ni John F. Kennedy, ni Lyndon B. Johnson n’ont eu le moindre doute sur les intentions israéliennes. Les deux présidents se doutaient de la volonté israélienne de fabriquer, tôt ou tard, la bombe atomique. Déjà en 1966, les rapports de l’AEC, (Atomic Energy Commission), après deux visites des installations nucléaires de Dimona, donnent la certitude qu’Israël procède, dans des installations secrètement dissimulées, à la fabrication des armes nucléaires, écrit Glenn T. Seaborg (1987, p. 105) 449 . D’après Avner Cohen (1998) 450 , en décembre 1964, le doute s’est installé au sein du groupe d’experts américains concernés par la prolifération nucléaire. A. Cohen souligne que ce groupe a eu la certitude que les Israéliens possédaient les infrastructures nécessaires à la production des armes nucléaires. Glenn Seaborg (1987) 451 , écrit que, déjà en 1962-1963, le rapport Komer de la CIA soupçonne l’existence d’une capacité nucléaire dissimulée en Israël, (1961) 452 . L’administration américaine n’a alors plus de doute sur la volonté israélienne (Annexe 117) 453 . L’administration Johnson connaissait un peu mais ne souhaitait pas en savoir davantage. Johnson, en juin 1964 et lors de sa rencontre avec le Premier ministre Eshkol notifie que « les États-Unis sont fermement contre la prolifération nucléaire. » Le Premier ministre israélien lui fait part de son assurance « j’ai compris votre message. » C’est ainsi que le Président Johnson montre son action contre la prolifération nucléaire. Tous sont au courant sans vouloir entrer dans les détails. Le consensus s’est imposé et les Israéliens ont trouvé leur chemin vers l’ambiguïté. L’année 1964 est celle du test nucléaire chinois. L’ambiguïté israélienne trouve ses racines dans l’ambivalence manifeste des États-Unis durant ces années envers le programme nucléaire israélien. Dans sa politique envers la question de la prolifération nucléaire, Washington n’a pas cherché à persuader Israël d’arrêter son programme nucléaire. La politique américaine contre la prolifération nucléaire, en ce qui concerne le cas israélien, ressemble plus à une politique de l’œil fermé. C’est la peur d’une réaction en chaîne régionale qui préoccupe Washington et non pas la volonté de stopper le programme nucléaire israélien. C’est vers 1965, que les Israéliens par enchaînement d’événements mettent les Américains devant le fait accompli. L’ambiguïté israélienne trouve son chemin sous l’administration Johnson et le gouvernement Eshkol. L’assassinat de John F. Kennedy, le 22 novembre 1963, porte Lyndon B. Johnson à la présidence des États-Unis. En Israël, c’est aussi la période d’un changement à la tête du gouvernement israélien. En juin 1963, Levi Eshkol succède à Ben Gourion au poste de Premier ministre. Arel Ginai (1964) 454 , note que la transition de l’administration Kennedy à celle du Johnson qui coïncide avec la transition du gouvernement Ben Gourion vers celui de Eshkol trouve, aussi bien à Washington qu’à Tel-Aviv, une volonté de poursuivre la politique entamée par Kennedy et Ben Gourion. Mais, Ginai souligne que le style et l’expérience des deux hommes sont complètement différents.

Johnson et Eshkol sont des hommes de consensus (Seymour Hersh (1991) 455 . Ils sont plus intéressés par les questions de la politique intérieure que par la diplomatie extérieure. Ces similitudes aident les relations entre les deux hommes. Cette situation est surtout bénéfique pour le développement du programme nucléaire israélien. En effet, Levi Eshkol n’a pas les inquiétudes de Ben Gourion à propos de l’avenir et la survie de l’État Hébreu, le Premier ministre israélien étant moins anxieux que son prédécesseur. Contrairement à Ben Gourion, qui avait en face un Kennedy soucieux de la politique contre la prolifération nucléaire, Eshkol a en face un Johnson qui ne se préoccupe pas de cette question (Avner Cohen, 1998) 456 . À ce propos, Lyndon Johnson, -en tant que vice-Président-, n’a pas été tenu informé du dossier de Dimona et n’avait pas l’intention que ce dossier nuise à la relation entre Washington et Tel-Aviv. Pour Seymour Hersh (1991, p. 128) 457 Johnson, suite à l’assassinat de Kennedy, est arrivé au pouvoir un an avant les élections présidentielles américaines. Il a une bonne relation avec la communauté juive américaine. Le Président ne voulait pas ouvrir le dossier de Dimona et ternir l’image de l’homme qui, après la fin de la Deuxième Guerre mondiale, a visité les camps de concentration à Dachau en Allemagne. Le compromis entre Johnson et Eshkol est vite trouvé. Tel-Aviv fait valoir le fait que l’État Hébreu ne sera pas le premier à introduire des armes nucléaires au Moyen-Orient. Pour cela, Washington répond aux besoins d’Israël en armes conventionnelles afin de ne pas avoir recours aux armes nucléaires. Ce compromis est vite mis en place lors de la première visite officielle du Premier ministre israélien à la Maison Blanche. La visite officielle de Levi Eshkol, (1-3 juin 1964), donne lieu à la livraison de 150 chars M-48, et la mission Harriman-Komer en Israël, en mars 1965, aboutit à la vente de 48 avions A-4 Sky Hawk (Annexe 111) 458 et (Annexe 112) 459 . Le compromis le plus important est celui concernant le programme nucléaire israélien. Washington se base sur les recommandations du rapport du 14 janvier 1964, écrit par Bundy, membre du NSC, au Sécrétaire à la Défense McNamara consacré à la non-prolifération nucléaire (Annexe 130) 460 . Puis le Department of State se base sur les conclusions du rapport de la mission d’inspection de Dimona. Cette mission a pu en effet visiter la centrale de Dimona. Lors de cette visite en 1966, -l’une de trois au total-, la commission d’experts américains statue que la centrale de Dimona ne représente pas d’activités liées à la production d’armes nucléaires.

L’ambiguïté israélienne sert alors au maintien des relations privilégiées entre Tel-Aviv et Washington. Cette ambiguïté permet aux deux États d’éviter un affrontement autour du programme nucléaire israélien et cela sans compromettre les intérêts des deux pays. Le 22 novembre 1963, le Président J. F. Kennedy est assassiné, et Lyndon B. Johnson devient le nouveau Président des États-Unis. L’administration Johnson n’accorde plus la même importance que celle de Kennedy au dossier du nucléaire israélien. Le 36ème Président ne sent pas d’urgence dans le traitement de cette question. La nouvelle administration ne dispose pas de politique envers la question de la prolifération nucléaire. En ce qui concerne Dimona, Johnson suit les derniers ‘’arrangements’’ entre Kennedy et le gouvernement Levi Eshkol. Le nouveau Président garde l’équipe qui a suivi le dossier sous Kennedy (notamment McGeorge Bundy, Robert Komer, et Myer Feldman) jusqu'en 1965-66, mais sans éprouver l’intérêt personnel et l’énergie de Kennedy. Pour ce dossier, la possibilité qui s’offre à Johnson est de continuer le suivi du programme nucléaire israélien avec une politique et des moyens bilatéraux. Le nouveau Président a par ailleurs d’autres préoccupations internes et focalise ses efforts pour sa propre campagne électorale. Toutefois, la question de la prolifération nucléaire s’impose suite à un événement majeur : un essai nucléaire chinois. Le 26 août 1964, un rapport top secret de la CIA, (dont une grande partie est rayée, p. 4), prévient de l’imminence d’une détonation nucléaire chinoise (Annexe 74) 461 . Les informations de la CIA préviennent qu’un essai nucléaire par l’armée chinoise est en vue. Ces informations sont disponibles à Washington depuis l’automne 1962, et permettent d'étayer un long rapport écrit par par William C. Foster, le directeur de l'ACDA (U.S. Arms Control & Disarmament Agency) en août 1964. M. William Foster expose dans son rapport l'issue de la prolifération nucléaire au Secrétaire d’État Dean Rusk (Annexe 75) 462 L’essai nucléaire chinois force l’administration Johnson à agir et impose l’urgence de la question de la prolifération. Elle place ainsi la Chine en premier rang à l’ordre du jour de l’agenda de Johnson et remet Dimona en seconde plan.

Notes
449.

Glenn T. Seaborg, Stemming the Tide: Arms Control in the Johnson Years , Rowman & Littlefield, 1987.

450.

Avner Cohen, Israel and the Bomb , New York, Columbia University Press, 1998, 470 pages.

451.

Ibid.

452.

US Department of State, 95/01/17, Foreign Relations, Vol XVII, 1961-63, Near East, Office of the Historian Bureau of Public Affairs, Washington, Department of State.

453.

Annexe 117, Astrategic Analysis of the Impact of the Acquisition bu Israel of a Nuclear Capabilit. Foreign Relations, 1961-1963, Volume XVII, Near East, 1961-1962 Released by the Office of the Historian, Documents 66-97, N. 95. Paper Prepared by the Joint Chiefs of Staff. JCSM-523-61 Washington, undated./1/Source : Department of State, Central Files, 784A.5611/8-1461. Secret. A table of contents and summary are not printed. The source text is undated, but a covering memorandum on the copy in Department of Defense files indicates that Lemnitzer sent the paper to McNamara on August 8 with a recommendation that it be sent to the Department of State for comment. (Washington National Records Center, RG 330, OSD Files: FRC 65 A 3464). The source text was transmitted to the Department of State under cover of a letter of August 14 from Deputy Secretary of Defense Gilpatric to Secretary of State Rusk requesting Department of State consideration of the non-military points being recommended in the paper.

454.

Arel Ginai, article dans un supplément au journal Yédiot Ahronote du 29 mai 1964.

455.

Seymour Hersh, The samson Option, New York, Random House, 1991, 354 pages.

456.

Avner Cohen Israel and the bomb, New York, Colombia University press, 1998, 470 pages.

457.

Seymour Hersh, The samson Option, New York, Random House, 1991, 354 pages.

458.

Annexe 111, Telegram From the Department of State to the Embassy in Israel. N.182. FRUS, 1964-1968, Volume XVIII. Arab-Israeli Dispute, 1964-67. Department of State, Washington, DC. Washington, March 8, 1965, 8:57 p.m. /1/Source : National Archives and Records Administration, RG 59, Central Files 1964-66, DEF 12-5 ISR. Secret; Immediate; Exdis. Text received from the White House, cleared by McGeorge Bundy, and approved by Jernegan. The substance of the telegram was apparently decided at a meeting of the President, McNamara, Rusk, Ball, and McGeorge Bundy between 6:01 and 7 p.m. (Johnson Library, President's Daily Diary) No record of the meeting has been found. Briefing memoranda and draft cables prepared for the meeting are ibid., National Security File, Country File, Harriman Israeli Mission (II), and in Washington National Records Center, RG 330, OSD Files: FRC 70 A 1266, Israel 470.

459.

Memorandum for the Record. 49. SUBJECT : Standing Group Meeting on Israeli Requests for U.S. Tanks. Washington, April 30, 1964. FRUS, 1964-1968, Volume XVIII. Arab-Israeli Dispute, 1964-67. Source : Johnson Library, National Security File, Country File, Israel, Tanks, Vol. I. Secret; Limit Distribution. Drafted by Jernegan. A draft summary record of the meeting by NSC Executive Secretary Bromley Smith indicates that the meeting was at 5:15 p.m. It presents the conclusions set forth in this memorandum in summary form and adds that the Standing Group agreed on a further effort to persuade Nasser to refrain from a missile program. (Ibid., Files of Robert Komer, Israel Security (Tanks), Nov. 1963-June 1964)

Voir aussi : Israel Security (Tanks), subject : Israeli Arms Needs. A handwritten note indicates that copies were sent to Talbot, Jernegan, Deputy Assistant Secretary of Defense for International Security Affairs Frank K. Sloan, and Bundy, and subsequently to USIA Director Carl T. Rowan and Deputy Special Counsel to the President Myer Feldman. Source : Johnson Library, National Security File, Files of Robert W. Komer, Nov. 1963-June 1964. Secret

460.

Annexe 130, Memorandum From the President's Special Assistant for National Security Affairs (Bundy) to Secretary of Defense McNamara. N. 2. FRUS. 1964-1968, Volume XI. Arms Control and Disarmament . Department of State, Washington, DC. Washington, January 14, 1964. Source : Washington National Records Center, RG 330, OASD/ISA Files: FRC 68 A 306, 388.3, January 11-16, 1964. Secret. Attached to another copy of Bundy's memorandum is a January 15 memorandum from ACDA Director William C. Foster to the Committee of Principals, recommending that Bundy's memorandum serve as the agenda for their meeting on January 16 and transmitting a list of working papers for use as reference material. The list covers three areas: nuclear containment, immediate reductions or limitations of arms, and observation posts. (Johnson Library, National Security File, Subject File, Disarmament--ACDA Publications, Vol. I, Box 11).

461.

Annexe 74, The Changes of an Imminent Communist Chinese Nuclear Explosion. 43. Special National Intelligence Estimate. SNIE 13-4-64. Foreign Relations of the United States 1965-1968, vol. XXX, China. Washington, August 26, 1964. Source : Central Intelligence Agency, NIE Files. Top Secret; Ruff/[codeword not declassified]. According to a note on the cover sheet, it was submitted by the Director of Central Intelligence and concurred in by the U.S. Intelligence Board on August 26. The Central Intelligence Agency and the intelligence organizations of the Departments of State and Defense, AEC, and NSA participated in its preparation. All USIB members concurred, except the FBI Assistant Director who abstained because the subject was outside his jurisdiction.

462.

Airgram, Department of State. “Summary and Appraisal of Latest Evidence on Chinese Communist Advanced Weapon Capabilities,” Arms Control and Disarmament Agency 10 July 1963, Top Secret. The National Security Archives, The United States and the Chinese Nuclear Program, 1960-1964. Source : RG 59, Executive Secretariat Country Files 1963-66, box 2, Communist China. Autres Source : Department of State, S/S-RD Files: Lot 68 D 452, Committee of Principals, August-December 1964.