Le Sénat et la prolifération

Le sénateur Robert Kennedy, -un fervent défenseur de la non-prolifération nucléaire-, quelques mois plus tard, attaque, lors d’un discours au Congrès, la politique de l’administration Johnson. Il fait valoir, en faisant allusion au rapport Gilpatric, le fait que l’Inde et Israël sont sur le point de fabriquer la bombe atomique (Newsweek, 9 août 1965) 484 . L’administration Johnson se demande alors comment et pourquoi il y a eu fuite d’information du contenu du rapport. Johnson voit alors en Bob Kennedy le rival au sein de la famille des Démocrates, pour les primaires de la campagne électorale. Ceci va par la suite être utilisé lors de la compagne électorale des présidentielles de 1968 et explique peut-être pourquoi le Président Johnson ne suivra pas les recommandations du comité Gilpatric pour lequel il s’est lui-même précipité de former trois mois auparavant, se demande Avner Cohen (1998) 485 . Quelques mois plus tard, un sondage d’opinion Harris effectué pour le magazine américain Newsweek, place Israël comme le prochain pays à effectuer un essai nucléaire, et l’Inde comme le pays qui suivra Israël (Newsweek, 9 août 1965) 486 . Le rapport du comité Gilpatric de janvier 1965, est considéré comme une étape importante vers la conceptualisation du traité de non-prolifération des armes nucléaires. Ce rapport accentue l'importance du TNP, en tant que norme internationale, aidant les objectifs de la politique des États-Unis. Malgré l’importance de ce rapport, l’administration Johnson, marque une lenteur pour la mise en place et pour adopter ses recommandations : un an et demi. Elle marque aussi une lenteur pour définir sa politique dans le domaine de la prolifération nucléaire. Johnson doit alors faire face à un dilemme entre son engagement à la cause de la non-prolifération et ses obligations envers ses alliés notamment européens. C’est alors que les Sénateurs entrent en scène et qu’un débat s’installe à propos du manque d’une politique claire de l’administration Johnson envers la prolifération. Début 1965, (date de la présentation du rapport Gilpatric), le sénateur John Pastore présente une résolution devant le Sénat demandant des efforts additionnels pour une solution du problème de la prolifération nucléaire (Glenn T. Seaborg, 1987, p. 180) 487 .

Cette demande mène à une série d'auditions publiques au Sénat sur le danger de la prolifération nucléaire. Robert McNamara, Secrétaire d’État à la Défense s’exprime alors et fait savoir qu’il est en faveur de l’idée selon laquelle l’administration devrait faire plus pour arriver à un accord international sur la non-prolifération nucléaire. Le 17 mai 1965, le Sénat adopte une résolution. Appelée la résolution Pastore, elle est adoptée avec une majorité absolue (84 voix pour et 0 contre). C’est alors que le Président réagit. Un mois après le vote du Sénat, fin juin 1965, Johnson écrit au sénateur Pastore reconnaissant qu'il y a là un soutien fort de la cause de la non-prolifération (Glenn T. Seaborg, 1987). Il faut attendre la fin de l’année 1966 pour que la position de l’administration Johnson se clarifie vis-à-vis de la prolifération nucléaire. Presque deux ans après le rapport Gilpatric, et quelques mois avant la guerre des Six jours de juin 1967, le Président Johnson adopte un nouveau langage à propos du premier article du traité de non-prolifération. Mais à cette date, Israël est déjà en possession de sa première bombe atomique. Américains et Soviétiques aboutissent alors à un consensus notamment au sujet du transfert de la technologie nucléaire, de l’OTAN, de l’Allemagne et des armes nucléaires. Le chemin vers des négociations sérieuses du TNP s’ouvre début 1967. Le Président Johnson soutient l'idée d'un traité de non-prolifération, et cela semble être politiquement faisable.

Notes
484.

“The Bomb: Special Report,” Newsweek, 9 août 1965, p. 54.

485.

Avner Cohen, “Israel and the Evolution of U.S. Nonproliferation Policy: The Critical Decade (1958-1968)”, Center for Nonproliferation Studies, The Nonproliferation Review, Vol 5, N 2, Hiver 1998.

486.

“The Bomb: From Hiroshima to...,” Harris poll, Newsweek, August 9, 1965, p. 55.

487.

Glenn Theodor Seaborg, Stemming the Tide : Arms Control in the Johnson Years , Lexington, Rowman & Littlefield, 1987, 495 pages.