Johnson et le dossier israélien

Alors que les leçons du cas israélien résident parmi d’autres, probablement derrière les motifs de la nouvelle approche vis-à-vis du TNP, elles n’incitent pas un changement d’attitude de la part de l'administration Johnson concernant le TNP (et malgré les critiques de l’administration faites par le Sénat et notamment celles du Sénateur Bob Kennedy concernant Israël et l’Inde). Néanmoins, en 1966, il devient évident que les arrangements nucléaires spéciaux entre Kennedy et Eshkol commencent à vieillir. Ces arrangements écrits s’avèrent trop vagues et les questions clés sont ouvertes à différentes interprétations. Concrètement, cependant, l’interprétation israélienne prend le dessus et les visites de Dimona ne sont pas conduites selon la demande initiale de Kennedy (Annexe 122) 488 .

C’est Israël qui dicte les règles de conduite lors des visites. Les deux côtés se trouvent dans une position inconfortable. Washington commence même à être froissés par ces arrangements nucléaires bilatéraux et secrets. Car pendant ce temps, les Israéliens continuent à éroder les conditions exigées par Kennedy (Avner Cohen, 1998) 489 . Le nucléaire israélien devient alors un ennui politique pour les deux parties. Notons qu’à ce propos, au milieu de l’année 1965, le Président Johnson envoie une lettre à Eshkol, demandant qu'Israël donne son accord pour placer Dimona sous contrôle de l'AIEA, et Eshkol ne donne aucune suite à cette demande américaine (Annexe 92) 490 . Washington qui apprécie politiquement l'engagement verbal de Tel-Aviv, -selon lequel Israël ne serait pas le premier à introduire les armes nucléaires dans la région- se rend compte que cet engagement verbal est très maigre. C'est un engagement unilatéral non contraignant que l’État hébreu pourrait toujours changer à n’importe quel moment. Un exposé introductif sur la question nucléaire israélienne préparé par le département d'État en tant qu'élément d'un briefing à la veille de la visite d'Eshkol les 7 et 8 janvier 1968, montre que la CIA savait, depuis 1966, qu'Israël s’était vu acquérir les capacités techniques nécessaires en vue de la fabrication d'armes nucléaires. Cette note reste sceptique dans sa tonalité. Le papier indique que « sur la base de nos visites irrégulières, nous sommes raisonnablement, bien que pas entièrement, confiants qu’Israël ne s'est pas embarqué dans un programme pour produire les armes nucléaires. (…) Toutefois, nos visites ne garantissent pas que la production des armes nucléaires soit entreprise ailleurs en Israël. » Dans cette note, on invite Johnson à exprimer au Premier ministre Eshkol la position non-compromettante de Washington sur la prolifération nucléaire ainsi que le souhait américain de continuer des visites régulières à Dimona. Toutes les instances américaines impliquées dans le dossier Dimona, l'ACDA (US Arms Control and Disarmament Agency), l'AEC (Atomic Energy Commission), le département d'État et la Maison Blanche, se rendent alors compte de leurs imperfections dans la gestion de cette question (Avner Cohen, 1998) 491 .

Notes
488.

Annexe 122, Lettre du Président Kennedy au Premier Ministre Levi Eshkol, le 5 juillet 1963.

489.

Avner Cohen, Israel and the Bomb , NY, Colombia University Press, 1998.

490.

Annexe 92, Visit of Levi Eshkol, Prime Minister of Israel, 7-8 january 1968. “The Nuclear Issue and Sophisticated Weapons”, Nuclear Weapons discussion. Record Group 59, CFPF, 1967-69, Box 2649 AE, Source : National Security Archive.

491.

Citant des interviews effectuées avec Myron Kratzer (AEC), Michael Sterner et Joseph Sisco (Département d’État), Robert Komer et Spurgeon Keeny (NSC), à Washington DC entre 1993 et 1995