Prendre le Caire

Garder les voisins en désarroi est toujours un point essentiel de la stratégie israélienne envers le monde arabe. Nasser, avec ses appels au panarabisme ainsi que l’hégémonie égyptienne au sein du monde arabe, sont perçus comme une menace réellement sérieuse contre l’existence même de l’État hébreu. Les Israéliens ont la conviction qu’une humiliation militaire de l’armée égyptienne et une défaite lors de la guerre du Suez aura pour effet le renversement du régime de Nasser. Le plan initial de la guerre prévoit une attaque israélienne le 29 octobre 1956. Une fois l’attaque lancée, le plan prévoit que la France et la Grande Bretagne demandent alors le retrait des troupes égyptiennes et israéliennes à 20 km du canal de Suez. Selon le plan, cette bande crée ainsi une zone tampon pour la protection de la navigation du canal de Suez. Toujours selon le plan de guerre, les Égyptiens qui, après la nationalisation, contrôlent le canal de Suez, refuseront l’application de ces demandes. Ce refus sera le “casus belli” qui conduira à l’intervention franco-britannique. C’est ce qui justifiera, selon le plan, le lancement des attaques conjointes à la date du 6 novembre afin de neutraliser les forces armées égyptiennes et de reprendre la zone du canal de Suez. Le plan de guerre réussit et dépasse même largement toutes les prévisions. Tout se passe mieux que prévu. Israël lance son attaque avec succès. L’occupation de la zone du canal est achevée en 5 jours et ne s’étend pas à une semaine comme le prévoyait le plan initial.

En cinq jours (entre le 29 octobre et le 4 novembre 1956), le Tsahal prend le Sinaï et le canal de Suez se trouve sous contrôle israélien. L’armée israélienne commence alors à penser à traverser le canal et à prendre la rive occidentale. On parle alors d’un plan pour prendre le Caire. Malgré cette victoire, sans équivalent dans l’histoire militaire de la région, le conflit se solde par un désastre politique pour les Israéliens (Avner Cohen, 1995) 499 . Les Nations unies appellent à un cessez-le-feu et à l’arrêt du plan de l’armée israélienne qui prévoit de traverser le canal et d’aller jusqu’au Caire (Annexe 123) 500 . Guy Mollet demande à son homologue britannique Anthony Eden d’annuler leur plan d’assaut, mais il est confronté au refus des Britanniques qui veulent continuer le plan prévu. Comme convenu, Britanniques et Français, le 6 novembre 1956, envoient des troupes. Les forces armées franco-britanniques débarquent alors à Port-Saïd. Lors du débarquement et lorsque le Tsahal met en place un plan pour se diriger vers le Caire, l’Union soviétique met la main sur la gâchette nucléaire. L’Union soviétique, qui fait face à la révolte hongroise, lance alors son avertissement. Cette menace est interprétée par les Israéliens comme un ultimatum nucléaire. Le message envoyé par Moscou à Paris, Londres et Tel-Aviv, signé par le Premier ministre soviétique Nikolai Boulganine menace explicitement Ben Gourion d’attaquer des cibles en Israël avec des armes modernes et puissantes (Matti Golan, 1982) 501 et (New York Times) 502 . La crise touche à sa fin lorsque face à la menace soviétique, Washington intervient et oblige le Tsahal à évacuer la zone (Annexe 93) 503 . Israël retire alors ses troupes et les deux puissances coloniales cèdent leur place aux Américains et aux Soviétiques. Nasser renforce son assise politique. Quant aux Israéliens, la leçon est la suivante : une arme nucléaire israélienne fera taire Moscou lors d’un conflit futur.

Notes
499.

Avner Cohen, “Most Favored Nation”, The Bulletin of Atomic Scientists, January/February, 1995 Vol. 51, No. 1, 1995.

500.

Annexe 123, General AssemblyA/RES/999 (ES-I)4, november 1956. Resolution 999 (ES-I). Source : United Nations Security Council.

501.

Matti Golan, Shimon Peres , New York, St Martin’s Press, 1982.

502.

“Soviet Protests Canal Blockade”, New York Times, 5 novembre 1956.

503.

Annexe 93, Message to Prime Minister Ben-Gurion Urging Withdrawal of Israeli Forces in Egypt, Released November 8, 1956. Dated November 7, 1956. The State Department Bulletin, Vol. 35, p. 798. Source : Public Papers of the Presidents, Dwight D. Eisenhower, 1956, N. 295.