L’impact de la menace soviétique

En 1956, l’Union soviétique s’interpose. Moscou menace de bombarder Londres et Paris avec des bombes atomiques. Le Kremlin oblige, Israël à se retirer du Sinaï conquis en quelques jours. C‘est ce qui déclenche la détermination de Tel-Aviv d’acquérir la bombe atomique. L’État hébreu se sent faible face à la menace soviétique. Les décideurs israéliens sont alors conscients plus que jamais de la vulnérabilité de leur nouvel État en tant que cible. L’État hébreu, créé sept ans auparavant a déjà eu des conflits armés : 1948-1949. Il commence, à la sortie de sa deuxième guerre, le marchandage avec la France. Tel-Aviv conditionne son retrait du Sinaï par l’aide technique à la construction de la centrale de Dimona. Le programme nucléaire israélien marque alors son point de départ. La crise de Suez éclaire les nouveaux rapports stratégiques entre l’Est et l’Ouest. On sait que Français et Britanniques, sous le prétexte délibérément mensonger, de s’interposer entre Israéliens et Égyptiens, débarquent leurs corps expéditionnaires à Port-Saïd explique Paul-Marie de La Gorce (1985) 509 . Alors que l’offensive israélienne est programmée et préparée en accord avec Londres et Paris, cette action soulève aussitôt la réprobation véhémente de la plupart des États du monde et l’hostilité ferme des États-Unis. L’Union soviétique, mettant à profit le désarroi qui règne dans le camp occidental, sort de la réserve. Moscou, que les événements de la Hongrie obligaient à se confiner, propose le 5 novembre au Conseil de Sécurité de l’ONU, qu’une aide militaire soit apportée à l’Égypte par les membres des Nations unies, en particulier par les États-Unis et l’URSS. Le même jour, le Président du Conseil des ministres soviétiques Boulganine, s’adresse aux gouvernements français et britannique avec un langage de menace nucléaire claire.

Les messages de Moscou sont sans ambiguïté, à la fois à l’égard de Paris et de Londres. À Paris, il demande « dans quelle situation se trouverait la France si elle était attaquée par un pays disposant de moyens de destruction terribles et modernes ? » À Londres, il fait remarquer « qu’il y a des pays qui n’ont pas besoin d’envoyer des forces navales ou aériennes sur les côtes de la Grande Bretagne, mais pourraient utiliser d’autres moyens, tels que des fusées. » C’est la première fois dans l’histoire des relations internationales, qu’une puissance nucléaire fait publiquement et clairement ressentir à d’autres, son intention de recourir à l’arme atomique. La question qui se pose est de savoir si les Soviétiques vont passer à l’exécution de la menace contre Paris et Londres. Le plus important et le plus évident, note Paul-Marie de La Gorce, en matière de relations entre puissances, c’est que cette crise démontre que « rien d’autre ne peut équilibrer la force nucléaire qu’une autre force nucléaire. » (Paul-Marie de La Gorce, 1985, p. 57) 510 .

En toute tranquillité, Moscou -lors de la crise de Suez de 1956- pouvait lancer son habile “canular” sur l’atomisation de Londres et de Paris. « On a dû rire à Moscou lorsque Londres et Paris ont trouvé dans les paroles de M. Khrouchtchev une menace que le leader soviétique n’avait osé y mettre », explique le général P. Gallois (1960, p. 198) 511 . Cette crise met fin à l’influence de deux puissances coloniales au Moyen-Orient et fait émerger les Américains et les Soviétiques comme des nouvelles superpuissances. Les Israéliens tirent la leçon de la menace nucléaire soviétique et concluent que les juifs américains ne peuvent venir au secours de l’État hébreu lors des situations comme celle de la crise de Suez. Les décideurs de l’État hébreu, qui savent dorénavant qu’ils peuvent posséder l’arme nucléaire, concluent que s’ils étaient dotés de cette arme, les Américains agiraient de façon différente lors d’une prochaine crise. C’est ce que nous allons détailler dans les deux conflits suivants : 1967 et 1973.

Notes
509.

Paul-Marie de La Gorce, La guerre et l’atome , Paris, Plon, 1985, 283 pages.

510.

Ibid.

511.

Général Pierre Gallois, Stratégie de l’âge nucléaire , Paris, Calmann-Lévy, 1960, 238 pages.