Le coup de force de Sharon

Du côté israélien, la crise de mai-juin 1967, représente un échec colossal de la dissuasion israélienne (Zeev Maoz, 2003, p. 53) 521 . Les éléments et les informations informelles véhiculées permettent de dire que durant les dernières semaines du mois de mai 1967, -où la crise atteint son paroxysme- les Israéliens qui viennent de produire leur première bombe atomique, tirent la conclusion suivante : Nasser n’est pas dissuadé. Le raïs est au contraire en phase de préparer une attaque pour détruire le réacteur de Dimona. Tel-Aviv sent la menace et se défend en attaquant. Les Israéliens mènent leur première guerre préventive pour stopper Nasser.

C’est alors que l’actuel Premier ministre Ariel Sharon, songe, de son propre aveu, en novembre 2004, à un coup de force militaire en 1967, pour contraindre son gouvernement à déclencher la guerre. C’est selon son témoignage publié dans la revue Maarakhot du ministère de la Défense que M. Sharon confie d’avoir envisagé à l'époque que « l'armée prenne le pouvoir pour contraindre le gouvernement à se décider à lancer une attaque préventive contre l'Égypte. » ( 522 ). On savait que l'armée avait exercé une très forte pression sur le gouvernement mais qu'Ariel Sharon ou d'autres généraux aient songé à une espèce de putsch constitue une révélation. « Pour la première fois, j'ai eu alors le sentiment qu'une telle chose pouvait se produire en Israël et serait bien accueillie » par la population, a confié M. Sharon au service historique de l'armée, dans un témoignage publié par la revue Maarakhot ( 523 ). « Il ne s'agissait pas pour l'armée de prendre le pouvoir et diriger le pays mais de décider à la place du pouvoir civil » témoigne M. Sharon qui faisait partie à l'époque de l'État-major et commandait une division blindée dans le sud d'Israël. Il raconte qu'aucune mesure concrète n'avait été prise en vue d'exécuter un tel plan et qu'il en avait parlé avec le chef d'État-major et futur Premier ministre Yitzhak Rabin, qui affirme-t-il, « n'aurait pas totalement écarté une telle option. »

La tension entre armée et pouvoir civil avait atteint son point culminant lors d'une entrevue extrêmement orageuse le 28 mai 1967 au QG, entre l’état-major israélien et le Premier ministre travailliste de l'époque Lévy Eshkol. Lors de cette rencontre, que les historiens ont appelée la “révolte des généraux”, le général Sharon et d'autres officiers supérieurs ont exigé qu'Israël déclenche une guerre contre l'Egypte. Ils affirmaient qu'Israël devait absolument frapper le premier alors que l'Egypte avait concentré des forces dans le Sinaï et fermé le détroit de Tiran, sur la Mer Rouge, sachant qu'Israël considérait ces actions comme un “casus belli”. Eshkol avait résisté un temps en espérant une intervention internationale qui ne vint pas. Finalement, il devait donner le feu vert à l'attaque le 5 juin 1967, début de la guerre des Six jours.

Notes
521.

Zeev Maoz, “The Mixed Blessing of Israel’s Nuclear Policy”, International Security, Vol. 28, N. 2 – fin 2003.

522.

“Sharon Considered 1967 Coup to Force war with Egypt”, The Daily Telegraph, London, 17 novembre 2004.

523.

AFP- ISR 0394 / PH15 Israël-Sharon-armée-histoire.AFP 161146 NOV 04. ms/hj.