Nasser n’est pas dissuadé

La discrétion qui entoure Dimona n’a pas épargné le site des regards indiscrets des Égyptiens. En mai 1967, un avion Mig-21 égyptien survole le site. Il est abattu alors que les Israéliens commencent la production de la bombe nucléaire. La vraie nature de Dimona semble échapper aux Américains mais pas aux Égyptiens. Nasser met tout en oeuvre pour arrêter le réacteur et détruire le site de Dimona. Autour du 26-27 mai 1967, une opération d’attaque limitée est préparée par les Égyptiens en coordination avec les Syriens afin de frapper le réacteur de Dimona. Appelée opération de l’aube, elle devait avoir lieu le 28 mai 1967. Une intervention soviétique de la dernière minute aurait aboutit à l’annulation de l’opération d’attaque (Michael B. Oren, 2002) 524 . Les Israéliens produisent alors entre 3 à 5 têtes nucléaires par an. La FAS (Federation of American Scientists, 1997), citant William Burrows et Robert Windrem et Critical Mass, souligne qu’Israël possède déjà deux bombes prêtes à l’usage durant la guerre de 1967 et que le Premier ministre Levi Eshkol avait ordonné la mise en alerte durant les opérations militaires. Mais, d’après Seymour Hersh (1991) 525 , la vraie première alerte nucléaire israélienne est intervenue durant la guerre de 1973 étant donné que les Israéliens n’avaient, d’après Hersh, pas encore de bombes nucléaires en 1967.

Dimona n’est entré en phase de production qu’en 1968 (Seymour Hersh, 1991) 526 . Le Premier ministre Levi Eshkol retarde le début de la production des armes nucléaires, alors que le réacteur fonctionne à plein régime. C’est Moshe Dayan, selon S. Hersh, qui donne le feu vert, marquant le début de la production des armes nucléaires à Dimona en 1968. Au Caire, le raïs n’est pas dissuadé. Le 25 mai 1967, Nasser sait que Dimona entre dans sa phase de production. Il prépare une attaque et place ses troupes tout au long du canal. L’armée de l’air côté égyptien est prête pour une première frappe. Les fronts syrien et jordanien sont en alerte maximum. On va vers la guerre et c’est la crise, écrit Avner Cohen (1998, pp. 273-276) 527 . Ces mouvements de troupes le long du canal de Suez, ainsi que l’escalade continuelle qui pousse Israël à lancer son attaque préventive est le signe sans conteste que sa doctrine de dissuasion semble déjà être un échec (Zeev Maoz (2003) 528 . Les raisons d’une telle conclusion sont multiples. Pour les détailler, nous allons, dans les pages suivantes retourner un peu en arrière. Cela nous permettra de trouver les racines et comprendre les raisons de la guerre de 1967 et aussi de voir comment Nasser qui se truve dans une situation militairement défavorable, pense à défier l’arsenal israélien et veut coûte que coûte arrêter son programme nucléaire. Nasser envoie à deux reprises (le 17 et le 26 mai 1967), des missions de reconnaissance, et l’aviation égyptienne survole le site de Dimona. Israël considère ces survols comme une possible volonté d’attaque du site (Isabella Ginor, 2003) 529 .

Il est difficile de prouver que Dimona est la seule raison de la guerre des Six jours. Il est aussi difficile de négliger son rôle primordial dans le déclenchement du conflit. Cette guerre est le fruit et le résultat d’une erreur d’interprétation des faits, et de la façon dont ils sont construits. Avner Cohen (1996, pp. 190-210) 530 , note qu’en mai 1967, il y a un plan militaire d’attaquer Dimona. Ce plan est présenté à Nasser, mais le raïs retarde son exécution car les estimations disponibles au Caire prévoient qu’Israël n’aura la bombe que vers la fin 1968. Le raïs qui prépare la guerre en 1967, veut surtout regagner les terres arabes avant que les Israéliens ne possèdent l’arme nucléaire, note Martin Van Creveld (1998, p.174) 531 . Shlomo Aronson (1991) 532 , fait un lien direct entre l’entrée en fonction de la centrale de Dimona et le déclenchement de la guerre. D’après Michael Brecher, (1980, p. 104, 230-231) 533 , le départ des casques bleus des Nations unies, les mouvements de troupes le long du canal de Suez, ainsi que le survol de Dimona, sont les facteurs qui ont conduit à la guerre. Tel-Aviv fait savoir sa volonté d’arrêter Nasser avant qu’il mène une attaque contre les installations nucléaires à Dimona. Le lendemain du survol de l’aviation égyptienne du site, Tel-Aviv ne cache plus sa volonté de se défendre. Devant l’escalade vers la guerre, le Président Johnson envoie une lettre au Premier ministre Eshkol lui demandant de ne pas mener une guerre contre les Arabes (Annexe 103) 534 . Il y a alors des rapports envoyés de Damas au Caire selon lesquels, les Israéliens massent des troupes tout au long des frontières. Mais Washington qui notifie aux Égyptiens que les Syriens leur donnent des rapports erronés sur la situation du front israélo-syrien, ne parvient pas à stopper Nasser. La Maison Blanche appelle les Israéliens à la retenue et leur demande de ne pas jeter de l’huile sur le feu (Annexe 104) 535 . Du point de vue militaire, à Washington, un rapport daté du 1er mai 1967, montre que les Israéliens ont une supériorité incontestable pour les cinq années qui vont suivre (Annexe 127) 536 . Deux semaines avant la guerre, la CIA, dans son rapport du 23 mai 1967, Overall Arab and Israeli Military Capabilities, parle d’une supériorité militaire israélienne dans tous les domaines (Annexe 102) 537 . Selon ces données, Nasser n’a pas la possibilité de faire face aux forces militaires israéliennes. Mais la volonté de Nasser d’entreprendre des actions militaires dans ces conditions, est l’interprétation de l’échec de la naissante dissuasion israélienne.

Notes
524.

Michael B. Oren, Six Days of War: June 1967 and the making of The Modern Middle East , New York, Oxford University Press, 2002.

525.

Ibid.

526.

Seymour Hersh, The samson Option, New York, Random House, 1991, 354 pages.

527.

Avner Cohen, Israel and the Bomb , New York, Columbia University Press, 1998.

528.

Zeev Maoz, “The Mixed Blessing of Israel’s Nuclear Policy”, International Security, Vol. 28, N. 2 – fin 2003.

529.

Isabella Ginor, “How the USSR planned to destroy Israel in 1967”, Middle East Review of International Affairs, Vol. 7, N. 3, septembre 2003.

530.

Avner Cohen “Cairo, Dimona, and the June 1967 War.” Middle East Journal, Vol 50, N. 2, printemps 1996.

531.

Martin van Creveld, The Sword and the Olive. A Critical History of the Israeli Defense Force , New York, Public Affairs, 1998.

532.

Shlomo Aronson with Oded Brosh, The Politics and Strategy of Nuclear Weapons in the Middle East, Opacity, Theory and Reality, 1960-1991, An Israeli Perspective , State University of New York Press, 1991, 398 p.

533.

Michael Brecher, Decision in Crisis. Israel, 1967 and 1973 , Barkley, California, University of California Press, 1980.

534.

Annexe 103, Telegram From the Department of State to the Embassy in Israel. Washington, May 17, 1967, 7 p. m. Source : National Archives and Records Administration RG 59, Central Files 1967-69, POL ARAB-ISR. Secret; Immediate. Drafted and approved by Rusk; cleared by Battle; and cleared with changes by Walt Rostow. Foreign Relations, 1964-1968, Volume XIX, Arab-Israeli Crisis and War, 1967.

535.

Annexe 104, Memorandum From the President's Special Assistant (Rostow) to President Johnson. SUBJECT : Urgent Message to Eshkol, Washington, May 17, 1967. Foreign Relations, 1964-1968, Volume XIX, Arab-Israeli Crisis and War, 1967. Released by the Office of the Historian. Documents 1-36. N. 7. Prewar Crisis, May 15-June 4, 1967. Source : Johnson Library, National Security File, Country File, Middle East Crisis, Vol. I. Secret.

536.

Annexe 127, Memorandum From the Under Secretary of State (Katzenbach) to President Johnson. Subject : The Arab-Israel Arms Race and Status of U.S. Arms Control Efforts. FRUS, 1964-1968, Volume XVIII. Arab-Israeli Dispute, 1964-67. N. 415. Department of State, Washington, DC. Washington, May 1, 1967. Source : Johnson Library, National Security File, Country File, Israel, Israeli Aid, 5/67. Secret ; Exdis. Filed as an attachment to Document 416. No drafting information appears on the memorandum, but another copy indicates that it was drafted by Sterner and cleared in draft by Rochlin, Deputy Assistant Director of ACDA for International Relations Culver Gleysteen, Raymond L. Garthoff of G/PM, Vladimir Toumanoff of SOV, Director of Atomic Energy Affairs in SCI Donovan Q. Zook, Edward A. Padelford of NEA/RA, Director of INR/RNA Granville S. Austin, Bergus, Battle, and Deputy Assistant Secretary in NEA Stuart W. Rockwell. (National Archives and Records Administration, RG 59, Central Files 1967-69, POL 27 ARAB-ISR). An undated memorandum from Battle, forwarding the memorandum for Katzenbach's signature, states that it was prepared at the request of the White House staff. (Ibid.)

537.

Annexe 102, Memorandum Prepared in the Central Intelligence Agency. SUBJECT : Overall Arab and Israeli Military Capabilities. Washington, May 23, 1967. Foreign Relations, 1964-1968, Volume XIX, Arab-Israeli Crisis and War, 1967. Released by the Office of the Historian Documents 37-71. Source : Johnson Library, National Security File, Memos to the President, Walt W. Rostow, Vol. 28. Secret; No Foreign Dissem. The memorandum is unsigned, and bears no drafting information. It was sent to the President with a brief covering memorandum from Walt Rostow stating that two memoranda from Helms, which the President had requested that morning, were attached. The second memorandum has not been identified.