III- la guerre d’usure (1969)

Cette guerre (war of attrition), est celle qui illustre le mieux la confirmation du cuisant échec de la dissuasion israélienne. Car suite à la guerre des Six jours de 1967, l’Égypte perd le Sinaï, le canal de Suez est fermé à la navigation et l’armée israélienne se trouve du côté Est du canal. Nasser, avec une défaite militaire sans précédent, décide alors de maintenir un état de tension militaire tout au long du canal. Cet état de tension permanent commence en février 1969 et se termine en août 1970, lorsque les Israéliens acceptent un cessez-le-feu ( 560 ). Johnson n’a pas eu la possibilité de mener une négociation avec les Israéliens en raison de la guerre de 1967. L’environnement postguerre ne permet pas une pression américaine. Il faut attendre quelques mois pour que la question revienne lors de la visite d’Eshkol début janvier 1968. Lorsque les États-Unis soulèvent la question pendant et après la visite d'Eshkol, ils rendent bien compte du fait que le contexte politique et stratégique a changé depuis la guerre des Six jours. Le 18 janvier 1968, les deux superpuissances présentent deux projets identiques de traité à la conférence sur le désarmement à Genève. L'espérance américaine avant la guerre 1967, peu raisonnable ou peu réaliste, est qu’Israël signe le TNP.

Du côté politique, le gouvernement d'Eshkol est perçu aux États-Unis, comme fermement engagé à ne pas nucléariser la région du Moyen-Orient. Sur le plan technique, il y a ceux qui croient encore qu'Israël pourrait vivre avec les dispositions du TNP. On croit encore qu'en échange de garanties de sécurité avec Washington, Israël pourrait être persuadé probablement de rejoindre le traité. Cela ne se fera pas. À ce moment-là, il y a déjà quelques indications d'Intelligence et des rapports de la CIA, selon lesquels Israël est techniquement près de la fabrication de la bombe. À la veille de la guerre de 1967, il démarre secrètement la production des armes nucléaires. Vers la fin du mois de mai 1967, Israël improvise deux dispositifs nucléaires et les rend opérationnels. Israël n'est plus un État sans armes nucléaires. Si Israël signait le traité, il devrait donc renoncer à sa politique nucléaire ambiguë. L'engagement israélien à ne pas être le premier à introduire les armes nucléaires dans le Moyen-Orient, aurait été réinterprété selon le TNP comme un engagement définitif, fort et clair pour ne pas fabriquer des armes nucléaires. L’année 1968, est celle du TNP. Israël est forcé de répondre à son dilemme nucléaire. Après cette année, et après un autre désaccord avec les États-Unis autour du TNP et la vente des F-4, Israël reste malgré tout obstiné dans son hésitation à signer le traité. Officiellement, le TNP est à l'étude. Officieusement, les États-Unis ont compris qu'Israël ne signera pas (Avner Cohen, 1996) 561 . Suite à la victoire militaire israélienne, les États-Unis proposent un plan de paix initié par le Secrétaire d’État William Rogers. Le plan Rogers du 9 décembre 1969, est une interprétation de la résolution 242 du Conseil de Sécurité de l’ONU (Annexe 129) 562 . Il appelle au retour aux frontières internationales entre les deux pays et exige la signature d’un accord de paix formel entre l’Égypte et Israël, ainsi que l’ouverture des négociations en ce qui concerne Gaza, Sharm el Sheikh et la zone démilitarisée. En plein guerre d’usure, Israël rejette le plan Rogers et en janvier 1970, l’aviation israélienne mène une première opération en profondeur sur le sol égyptien. Suite à cette attaque israélienne, Nasser se rend à Moscou et demande des missiles sol-air (SAM) et d’autres équipements militaires.

Le Kremlin s’engage à moderniser et à entraîner les militaires égyptiens. Un nouvel arsenal made in Moscou commence à perturber la balance militaire entre le Caire et Tel-Aviv. La guerre d’usure s’installe et cela donne lieu à une tension dans la relation israélo-soviétique. Cette tension s’aggrave lorsqu’en juillet 1970, quatre avions de combats pilotés par des pilotes soviétiques sont abattus à environ 30km à l’ouest du canal, par l’armée israélienne. Pour éviter une riposte soviétique et un éventuel manque de soutien de Washington, les Israéliens acceptent, en août 1970, un cessez-le-feu et l’application de la résolution 242 (Annexe 110). La guerre d’usure touche ainsi à sa fin. Nasser se montre toujours déterminé à mener une autre guerre contre Israël, mais sa mort, en septembre 1970, porte un autre Président à la tête de l’Égypte. Le nouveau raïs s’appelle Mohamed Anouar El-Sadate. Il se montre à son tour pas du tout dissuadé. Il va entreprendre plusieurs tentatives d’attaques d’abord en 1971, et puis en 1972. Avec son attaque surprise en 1973, Sadate va mettre à mal toute la conception de la dissuasion israélienne. C’est ce que nous verrons plus loin.

Notes
560.

Army Area Handbook, UM-St. Louis Libraries, DB Rec- 94,134 Dataset-ARMAN, Source : U.S. Department of the Army, Chapitre 1.07, 1967, date of record: 22 février 1994.

561.

Avner Cohen, “Cairo, Dimona and the June 1967 War,” Middle East Journal 50 (printemps 1996), pp. 190-210.

562.

Annexe 129, Résolution 242 du Conseil de Sécurité des Nations unies, 22 novembre 1967.